Architecture réparatrice : à Paris, un immeuble discret pour réparer les vies cabossées

Dans une rue discrète de Paris, un immeuble de 81 logements accueille des femmes victimes de violences. Conçu par l’agence Atelier du Pont, ce bâtiment n’a rien d’un foyer d’urgence classique. Derrière ses façades en briques et son jardin intérieur apaisant, il incarne une ambition rare : faire de l’architecture un levier de réparation, de dignité et de réinsertion.

Comment l’architecture peut-elle devenir un outil de réparation ? « Étant habitués à concevoir de l’habitat social, nous savons qu’il est important que ce type d’immeuble s’inscrive au mieux dans le tissu urbain. Nous avons tenu à faire sortir de terre un immeuble qui ne va pas stigmatiser les populations à l’intérieur, qu’on ne le regarde pas comme une résidence sociale pour femmes en situation de fragilité, mais comme un bâtiment appartenant au patrimoine de la ville », répond simplement Philippe Croisier, co-fondateur de l’agence Atelier du Pont et concepteur du projet Un toit.


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Un projet discret, pas effacé

Évidemment, pas question de révéler le quartier ni même l’adresse de cette résidence de 81 logements destinée aux femmes victimes de violences. Il s’agit d’un lieu discret où la ville s’efface pour laisser place à la reconstruction, comme une respiration, une pause dans des vies abîmées. « Nous avons rencontré quelques difficultés, notamment des recours de certains voisins qui ne voulaient pas de ce type de projet à proximité de chez eux, par crainte que les ex-maris ou petits-amis ne créent des perturbations. Nous avons dû mener des réunions de concertation afin d’expliquer que ces femmes sont sous protection renforcée », déplore l’architecte.

Conçue par l’agence Atelier du Pont, cette résidence (à droite) destinée aux femmes victimes de violence incarne une ambition rare : faire de l’architecture un levier de réparation, de dignité et de réinsertion.
Conçue par l’agence Atelier du Pont, cette résidence (à droite) destinée aux femmes victimes de violence incarne une ambition rare : faire de l’architecture un levier de réparation, de dignité et de réinsertion. Fred Delangle

Le besoin en équipements de ce genre est très important à Paris. Une première association, « Aurore », sorte de pension de famille, occupe un tiers du bâtiment, tandis que la seconde, « Une femme un toit », prend place dans les deux autres tiers, rassemblant des profils de femmes jeunes entre 15 et 25 ans. Ici, l’architecture n’exhibe rien. Elle enveloppe, elle protège, elle soutient.

Atelier du Pont a imaginé un bâtiment durable et contemporain, construit avec des matériaux de qualité, afin d’offrir à ces femmes un logement à la fois sobre et digne, en rupture avec l’urgence et la précarité de leur situation. Le projet s’inspire des codes de l’architecture parisienne classique, en adoptant notamment une façade en brique et des lucarnes en toiture. « Il s’agit d’un immeuble à l’approche assez contextuelle, située dans une petite rue tranquille, avec une écriture respectueuse de l’histoire du quartier », reprend Philippe Croisier.

L’entrée se fait par un large porche, pensé comme une transition douce entre l’espace public et l’intimité du lieu. Traversant, il conduit au hall d’accueil puis à un jardin au calme, orienté plein sud, situé au cœur de l’îlot et autour duquel s’articulent tous les espaces de vie. « C’est aussi dans ces éléments que l’on redonne confiance. ». Dans cette même volonté d’offrir un environnement serein, les circulations des étages bénéficient d’un éclairage naturel, contribuant à une atmosphère douce et accueillante. 

Un standing réhaussé

Tout est sécurisé dans les studios. « Cependant, nous avons veillé dans l’aménagement intérieur à ce que l’ambiance soit globalement agréable », ajoute l’architecte. Plutôt que des kitchenettes standards très répandues dans les logements sociaux de ce type, Atelier du Pont a pris le soin de dessiner de vrais cuisines. « Nous avons également disposé de belles fenêtres en bois et aluminium, un sol simple accordé avec la faïence, de beaux luminaires, propres et fonctionnels, afin de rehausser un peu le standing général de l’endroit. Nous avons essayé de bien faire les choses, malgré des moyens contraints. » La beauté, ici, n’est pas un luxe mais une manière de dire aux personnes qu’elles comptent.

Conçue par l’agence Atelier du Pont, cette résidence destinée aux femmes victimes de violence incarne une ambition rare : faire de l’architecture un levier de réparation, de dignité et de réinsertion.
Conçue par l’agence Atelier du Pont, cette résidence destinée aux femmes victimes de violence incarne une ambition rare : faire de l’architecture un levier de réparation, de dignité et de réinsertion. Fred Delangle

Ce ne sont pas des victimes qui sont logées ici, mais des vies que l’on aide à remettre debout. Offrir un cocon sans enfermer, en tendant la main vers la ville, comme une invitation à revenir dans le monde. La réparation consiste aussi à donner aux résidentes un sentiment d’appartenance à une communauté, qui peut parfois être vécue pour les personnes fragile comme agressive. « Ces femmes doivent être dans un rapport apaisé à l’extérieur, dans une forme transition douce de l’espace urbain et un intérieur protecteur », analyse-t-on chez Atelier du Pont.

Les durées d’hébergement sont variables, de quelques semaines à plusieurs années. Le temps que ces femmes recouvrent une situation autonome. Ce dispositif d’hébergement temporaire constitue une étape transitoire dans leur parcours, pensée pour leur permettre de retrouver stabilité et dignité avant d’engager une nouvelle vie. L’architecture ne soigne pas. Mais elle peut accompagner.

> En savoir plus sur l’association Aurore, ici, et sur FIT Une Femme Un Toit, ici


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