Architecture : le Grand Paris à la pointe de l’innovation

In'Cube, Wood E et Stream Building, ou quand la métropole parisienne privilégie transparence, réversibilité, usage du bois et agriculture urbaine, véritables avancées en matière d’immobilier tertiaire.

En observant bien, les récents aménagements publics du Grand Paris semblent donner des airs futuristes à la capitale hexagonale. Si l’innovation architecturale se perçoit de prime abord dans l’aspect extérieur des bâtiments livrés, cette impression est également liée à leur conception hautement réfléchie par des architectes qui se doivent d’intégrer de nouveaux paramètres afin d’ériger des édifices modernes et durables, comme l’explique l’architecte Philippe Chiambaretta, fondateur de l’agence PCA-STREAM à l’origine du Stream Building (Paris 17e). « Les projets prennent parfois jusqu’à 10 ans à se concrétiser, ce travail d’anticipation est absolument nécessaire pour les immeubles ne soient pas obsolète dès leur livraison. »


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Des immeubles tout en transparence

Issu de l’appel à projets « Réinventer Paris », le Stream Building, bâtiment de 16 000 mètres carrés situé face au Tribunal de Grande Instance, dans le 17e arrondissement, se présente en « immeuble ressource », c’est-à-dire en lieu de destination attractive qui vise à renforcer l’activité de la Zac Clichy-Batignolles. On y retrouve bureaux, espaces de coworking, restaurants, bars et tiers lieux, une mixité d’usages fruit d’une réflexion pluridisciplinaire, la conception de l’immeuble ayant été effectuée avec une trentaine d’experts, philosophes, architectes, anthropologues et start-ups.

Wood E se veut dans la continuité de l’espace public. © ChartierDalix Photo : Camille Gharbi 
Wood E se veut dans la continuité de l’espace public. © ChartierDalix Photo : Camille Gharbi 

À deux pas du canal de Pantin (93), Wood E, nouvelle antenne parisienne de l’école de commerce de Grenoble (GEM), se veut également poreux, c’est à dire particulièrement ouvert sur la voie publique adjacente. Ce bâtiment bas carbone livré en 2023 marque pour la municipalité un signal fort – sa conception en deux parties distinctes reliées par des passerelles en fait un édifice accueillant. « C’est un immeuble qui ne crée pas de front bâti », expose Pascale Dalix, de l’agence Chartier-Dalix, qui se défend d’avoir conçu ici un immeuble-écran. L’école est au contraire connectée à la voie publique avec laquelle Wood E semble dialoguer grâce de grandes baies vitrées qui laissent entrer la lumière et à la hauteur sous plafond de son hall d’accueil. « Nous avions envie d’une continuité entre l’espace public et l’intérieur du site », confirme ainsi l’architecte.

Sur le Plateau de Saclay (91), haut lieu de concentration de la Recherche et Développement en France, se distingue In’Cube. La multinationale alimentaire Danone y a établi son nouveau « Centre international de recherche et d’innovation ». Un bâtiment de cinq niveaux aux fonctions très élaborées, qui se caractérise par la mixité d’usages, mélange singulier entre immeuble tertiaire, industriel et de recherche, disposant notamment de laboratoires, d’espaces de coworking, ainsi que d’un café recevant du public. Abbès Tahir, architecte associé chez Arte Charpentier, a donc mis l’accent sur les transparences depuis l’espace public via, là aussi, de grandes baies vitrées qui laissent découvrir l’ensemble du processus industriel, l’entreprise souhaitant communiquer sur son univers, favoriser les échanges dans l’écosystème de Paris-Saclay et accueillir le public.

Constructions en bois et usages réversibles

Trois bâtiments à la pointe de l’innovation qui ont fait le choix d’une mixité des matériaux, notamment un usage accru du bois en structure. Ainsi dans le Stream Building, bien qu’il existe un noyau de béton, les poteaux, poutres et planchers, sont en bois, matériaux volontairement visibles à tous les étages. Et, durabilité oblige, l’immeuble a été imaginé dans une optique de réversibilité de ses usages. Les espaces accueillant aujourd’hui des bureaux pourront ainsi dans une deuxième vie se transformer en logements sans engendrer des travaux de structure. « Nous avons conçu une trame générique qui peut évoluer dans le temps en fonction de la demande », note Philippe Chiambaretta, fondateur de l’agence PCA-STREAM.

Au sein du Stream Building, les espaces accueillant aujourd’hui des bureaux pourront demain facilement se transformer en logements. ©Ewout Huibers 
Au sein du Stream Building, les espaces accueillant aujourd’hui des bureaux pourront demain facilement se transformer en logements. ©Ewout Huibers 

Si les fondations de Wood E sont elles aussi de béton, l’immeuble pantinois innove par sa structure en poteaux-poutres de bois lamellé-croisé, d’où le bâtiment tient son nom, qui confère une grande stabilité, résistance et durabilité. Bois qui reste apparent pour profiter des qualités du matériau en termes d’ambiances intérieures. Par ailleurs, le projet intègre lui aussi des typologies d’espaces entièrement réversibles, les plateaux étant libres de toute contrainte structurelle.

Dans In’Cube, à Saclay, le bois est également omniprésent, représentant au total 3 000 mètres cubes en structure dans l’immeuble. Les matériaux se répartissent en fait en fonction des programmes : l’usine, placée en rez-de-chaussée, a été construite en maçonnerie et fait l’objet d’une ossature plus légère en bois-acier posée sur ce socle de fondations. « C’est un immeuble complexe : sur les activités d’usine, le bois est à proscrire pour des raisons sanitaires évidentes. On a utilisé du béton bas carbone, et pour le reste, du bois provenant à 90% d’une forêt vosgienne », continue l’architecte. In’Cube est ainsi labélisé bâtiment « bas carbone laborantin ».

Le Grand Paris se végétalise

Élément désormais incontournable de tout bâtiment contemporain, l’agriculture urbaine prend une place non négligeable sur les trois projets. À Pantin, l’attention portée à l’intégration de surfaces végétalisées aux sols, aux murs et en toitures participe à la qualité de vie des usagers de Wood E. Le toit-terrasse accueille des panneaux photovoltaïques et un grand jardin composé d’espèces à fruits et à fleurs. « On a beaucoup de framboisiers et de pommiers. Nous voulions amener le comestible sur ce toit », insiste Pascale Dalix de l’agence Chartier-Dalix.

In’Cube qui comprend 2 900 mètres carrés d’espaces végétalisés, fait partie du projet du Grand Paris.
In’Cube qui comprend 2 900 mètres carrés d’espaces végétalisés, fait partie du projet du Grand Paris.

Sur le plateau de Saclay, In’Cube comprend 2 900 mètres carrés d’espaces végétalisés notamment grâce à une terrasse agrémentée d’un verger et d’un jardin en pleine terre, lieu de détente pour les salariés. La zone sert aussi de stockage pour les eaux de pluie. « Ce bâtiment est une véritable machine hydraulique, vante Abbès Tahir, architecte associé chez Arte Charpentier. L’eau est récupérée pour traiter les sanitaires : quand vous tirez la chasse, c’est de l’eau de pluie, qui coule. »

Enfin, Porte de Clichy, le Stream Building a installé sur sa toiture un bar-restaurant comprenant des panneaux photovoltaïques combinés à plus de 300 mètres carrés d’agriculture urbaine, à destination des chefs cuisiniers présents. Envisagé comme un organisme productif, l’immeuble transforme ses ressources selon des logiques circulaires. « Il y a différents légumes et aromates, alimentés par un composte réalisé grâce aux déchets des restaurants, reprend Philippe Chiambaretta. Sur la façade exposée au soleil, on a proposé une occultation végétale, des bacs de terre dans lesquels pousse du houblon. » Cette houblonnière offre une protection thermique sur la façade sud laissant passer la lumière en hiver et offrant de l’ombre en été, tout en alimentant une micro-brasserie en sous-sol qui peut produire 20 000 litres de bière par an, consommés au sein de l’immeuble. Alors longue vie à la « Stream Beer » !


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