1/ Post-modernisme, le grand bazar des influences
En 1908, un certain Adolf Loos vilipende les excès décoratifs avec Ornement et Crime. Partisan d’un dépouillement intégral, son travail trouve un écho auprès des modernistes comme Le Corbusier, qui publiera ce texte dans sa revue L’Esprit Nouveau en 1920. Ce culte de l’épure et de la fonctionnalité prend fin dans la deuxième moitié des années 1970, avec l’arrivée en fanfare du Post-Modernisme, chaussé de gros sabots décomplexés. Si jusqu’à présent la parure, les références historiques étaient proscrites, elles deviennent alors omniprésentes.
L’une des plus emblématiques sur le sol français est sans nul doute celle de Ricardo Bofill, les Espaces d’Abraxas, bâtis entre 1978 et 1983 Noisy-le-Grand (93). Au programme, des évocations néo-classiques à la pelle, du théâtre antique au fronton en passant par les colonnes et chapiteaux.
Moins subtil, plus joyeux et clairement premier degré, la Piazza d’Italia de Charles Moore à La Nouvelle-Orléans est considérée comme une véritable icône post-moderne. Achevé en 1978, cet ensemble urbain a été conçu pour rendre hommage à la communauté italienne locale. Colonnades et arcades de différentes tailles sont disposées autour d’une fontaine en forme de botte. Le tout est habillé de couleur vives, de néons, de métaux et de différents ordres antiques. Une vision survitaminée de l’Italie proche de l’esthétique des cartoons. « Quelle forme pourrait être plus italienne que celle de l’Italie, elle-même ? Et quoi de plus direct et efficace que le référence à la piazza ? », justifiait alors Charles Moore.
Même esprit chez Kengo Kuma, avec le M2 Building de Tokyo de 1991, véritable méli mélo de styles architecturaux, couronné par une imposante colonne ionique ultra-pop.
2/ L’expression de la Pop culture par l’architecture
S’il est une série bâtiments qui confirme l’union entre Pop Culture et Post-modernisme, c’est bien celle des studios et parcs Walt Disney : Les sept nains de Blanche-Neige se font cariatides chez Michael Graves, et le chapeau de Mickey dans l’Apprenti Sorcier vient orner l’entrée du Roy E. Disney Animation Building à Burbank signé Robert A.M Stern.
Une union heureuse pour la firme américaine, qui fera dire à Michael Eisner, son PDG en 1990, que Graves, Isozaki et Stern étaient « les Steven Spielberg, George Lucas et Woody Allen de l’architecture. »
3/ L’art du mouvement pour défier le Modernisme
Rompant avec la rigueur du passé, le Post-modernisme prend des libertés en mettant en scène des formes singulières évoquant le mouvement, à l’image de « La Maison qui danse » à Prague, pensée par Frank Gehry et Vlado Milunić sur les quais de la Vltava. Érigée en 1996, la bâtisse s’inspirerait d’un des duos les plus célébrés d’Hollywood : Fred Astair et Ginger Rogers. L’actrice serait à retrouver dans la tour de verre, et l’interprète de Cheek to cheek dans la tour de pierre.
Dans le même esprit, l’une des créations les plus emblématiques de l’architecte californien, le Walt Disney Concert Hall de Los Angeles, est immédiatement reconnaissable à son allure de navire fantastique coiffé de voiles de métal.
4/ Un usage sans retenu de la couleur
Avec le Post-modernisme, fini le froid du verre et du métal, bonjour l’overdose de couleurs ! Un parti-pris qu’a embrassé John Outram, grand maître de la polychromie post-moderne : « La décoration est l’origine et l’essence de l’architecture. En 1955, au début de ma vie d’architecte, on m’a appris que mon médium devait à la fois être analphabète et dépourvu de capacité métaphysique. Mon travail s’est toujours rebellé contre cet état d’esprit. »
La preuve avec l’une de ses plus fameuses constructions, la « Isle of Dogs Storm Water Pumping Station », achevée en 1988 à Londres. Surnommée le « Temple des tempêtes » par son créateur, elle est reconnaissable à l’œil-de-bœuf logé dans le fronton, lui-même soutenu par des piliers aux chapiteaux multicolores. L’architecte britannique enfonce le clou avec l’Ecole de Commerce de l’Université de Cambridge et le Duncan Hall de la Rice University de Houston au Texas. Les deux réalisations sont de véritables explosions de couleurs, et deux antithèses du minimalisme.
Toujours plus de couleurs et de motifs ! C’est aussi le message que semble hurler Camille Walala, avec ses fresques architecturales comme celle réalisée il y a trois ans, sur la façade d’un bâtiment de sept étages à Brooklyn. La démarche de la Française remet au goût du jour la décoration architecturale honnie par les Modernistes.
5/ Une bonne dose de fantaisie
A la sentence « Less is more » de Mies van der Rohe, Robert Venturi, architecte et théoricien du Post-modernisme, préfère « Less is a bore » (Moins, c’est chiant). Cette maxime sous-titre la bible d’Owen Hopkins publiée aux éditions Phaidon en 2020. Ce dernier y décrypte les références culturelles et l’usage des couleurs rutilantes et surtout l’incroyable fantaisie des architectes qui repoussent les limites du faisable et du bon goût.
Au menu de ce voyage dans l’absurde, la « Face House » à Kyoto de Kazumasa Yamashita (1974), le « Chiat/Day Building » de Los Angeles avec sa paire de jumelles de Frank Gehry et Claes Oldenburg (1991), ou encore l’école signée par le dessinateur Tomi Ungerer et Ayla-Suzan Yöndel en forme de chat à Wolfartsweier, près de Karlsruhe (Allemagne).
La palme revient sans nul doute au Longaberger Building Headquarters, érigé en 1997 dans le New Jersey. Conçu alors pour l’entreprise Longaberger, qui a depuis déménagé ses bureaux et mis en vente la bâtisse, il rend hommage à son best-seller… un panier à pique-nique ! Un hommage au sens le plus strict du terme, car il reproduit à l’échelle 160 sa fameuse panière.
> « Postmodern Architecture : Less is a Bore » d’Owen Hopkins, éditions Phaidon, 35 €.