La métamorphose architecturale de Berlin, ou l’histoire gravée dans les façades

Berlin se lit comme une coupe archéologique à ciel ouvert. Ses murs, ses boulevards, ses ruines racontent des siècles de bouleversements et de renaissances, entre architecture moderniste, héritage Art nouveau et design contemporain. Une ville qui se réinvente sans jamais effacer ses cicatrices.

Entre villas Art nouveau, hôtels Art déco et cours colorées, Berlin révèle les strates d’une histoire culturelle foisonnante, de la Belle Époque aux Années folles.


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De l’Empire au Bauhaus : la métamorphose architecturale de Berlin

Berlin se respire avant de se raconter. Une ville en perpétuelle transformation, miroir des idéologies des régimes qui s’y sont succédé. En 1871, elle devient capitale d’empire, le Deutsches Reich, après l’unification allemande voulue par Bismarck. La ville se couvre de chantiers, les faubourgs se hérissent de cheminées d’usines et les boulevards s’élargissent, comme si Berlin voulait rattraper d’un coup des siècles d’histoire architecturale. Elle figure parmi les plus grandes métropoles du monde, s’enrichit beaucoup, en partie grâce à la France qui paie l’indemnité après la défaite de la guerre franco-prussienne. Berlin est alors un centre culturel de premier plan en Europe. C’est l’ère du Gründerzeit, la Belle époque allemande.

Le Bauhaus-Archiv, musée inauguré en 1979 et dessiné par Walter Gropius, à Berlin.
Le Bauhaus-Archiv, musée inauguré en 1979 et dessiné par Walter Gropius, à Berlin. Yuxuan Wang / Unsplash

La bourgeoisie s’établit à l’ouest de la ville, à Charlottenburg, le long du Tiergarten, où naissent de larges avenues d’inspiration parisienne, comme le Kurfürstendamm. Le Kaiser Guillaume II impose le style wilhelminien, monumental et conservateur, qui rejette l’art moderne. Dans ce contexte, un peintre joue un rôle clé : Max Liebermann. Il défend l’avant-garde française contre la censure impériale, c’est la sécession berlinoise. L’architecte Peter Behrens promeut quant à lui le Jugendstil, l’Art nouveau allemand, inspiré par la fantaisie et la rupture avec les conventions classiques, qui s’affirme dans les quartiers bourgeois via des initiatives privées.

Après la Première Guerre mondiale, Berlin change de visage : l’Empire s’effondre, la ville, bien que marquée par la pauvreté et l’incertitude, devient le terrain d’une effervescence artistique et intellectuelle sans précédent. Ce sont les Goldenes Zwanziger, les années folles allemandes. La République de Weimar favorise un foisonnement artistique et intellectuel sans précédent où s’inventent les formes d’un monde nouveau. Cabarets, théâtre d’avant-garde, cinéma expressionniste, école Bauhaus et mouvements modernistes y prospèrent, attirant artistes et penseurs du monde entier.

Cet élan sera néanmoins brutalement brisé. En 1933, la ville qui riait et chantait s’enfonce dans l’ombre. Les institutions sont mises au pas, les œuvres qualifiées « d’art dégénéré » sont bannies, et une grande partie des artistes contraints à l’exil ou réduits au silence, parfois déportés et torturés. Les nazis détruisent une part considérable du patrimoine architectural berlinois, notamment les bâtiments Art nouveau. Berlin sera ensuite grandement ravagée sous les bombes. Mais cette effervescence artistique du début du XXe siècle peut encore se lire dans quelques adresses emblématiques.

4 lieux témoins des transformations de Berlin

Villa Grisebach : l’élégance wilhelminienne de l’architecture berlinoise

Après la fondation de l’Empire en 1871, la rue Fasanenstraße est transformée en une prestigieuse avenue, qui devient rapidement l’adresse privilégiée de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie berlinoise. En 1891, l’architecte Hans Grisebach y construit sa propre demeure, conçue à la fois comme maison familiale et atelier. Ce bâtiment marque une innovation, puisqu’il s’agit de l’un des premiers immeubles unifamiliaux urbains de Berlin. L’organisation intérieure y est fluide : un hall d’entrée au rez-de-chaussée mène par un escalier en chêne aux pièces du premier étage, disposées en enfilade sans couloir central.

Construite en 1891 pour et par l’architecte Hans Grisebach, ce bâtiment est l’un des premiers immeubles unifamiliaux urbains de Berlin.
Construite en 1891 pour et par l’architecte Hans Grisebach, ce bâtiment est l’un des premiers immeubles unifamiliaux urbains de Berlin.

Hans Grisebach ne voulait ni habiter un appartement en hauteur, ni une villa de banlieue. La maison, bâtie directement sur le trottoir, intègre un jardin à l’arrière, délimité par une façade sobre et élégante qui s’harmonise avec le paysage urbain. Elle illustre parfaitement l’évolution résidentielle et le patrimoine architectural de Berlin au tournant du XXᵉ siècle.

Gravement endommagée pendant la Seconde Guerre mondiale, la villa est classée monument historique en 1980. Elle est rachetée par la Deutsche Bank et devient en 1986 le siège de la maison de ventes aux enchères Villa Grisebach, aujourd’hui leader en Allemagne sur les secteurs de l’art moderne et contemporain. Les salons, le mobilier et les détails Art nouveau promettent une immersion dans le Berlin du début XXe siècle, tout en servant de toile de fond à des expositions contemporaines.

> Villa Grisebach, Fasanenstraße 25, 10719 Berlin. Grisebach.com


Hackesche Höfe : le théâtre urbain du Jugendstil

Conçues par l’architecte Kurt Berndt, les Hackesche Höfe, inaugurées en 1906 dans le quartier de Mitte, constituent un ensemble de huit cours sur 9200 mètres carrés, devenant le plus vaste ensemble résidentiel et commercial d’Allemagne. Doté de 80 appartements équipés de salles de bains, toilettes intérieures, chauffage central et balcons, le lieu incarnait la modernité de l’architecture berlinoise.

Conçues par l’architecte Kurt Berndt, les Hackesche Höfe, inaugurées en 1906 dans le quartier de Mitte, constituent aujourd’hui le plus vaste ensemble résidentiel et commercial d’Allemagne.
Conçues par l’architecte Kurt Berndt, les Hackesche Höfe, inaugurées en 1906 dans le quartier de Mitte, constituent aujourd’hui le plus vaste ensemble résidentiel et commercial d’Allemagne.

La conception de la première cour est confiée à August Endell, autodidacte du Jugendstil qui y déploya un décor spectaculaire en briques émaillées colorées, motifs ondulés et façades aux inspirations mauresques. L’effet reste impressionnant encore aujourd’hui : on entre dans cette cour comme dans un théâtre à ciel ouvert où les briques miroitent sous la pluie berlinoise.

Après des décennies de négligence sous la RDA, l’ensemble fut classé monument historique en 1977 puis restauré entre 1994 et 1997. Aujourd’hui, les Hackesche Höfe vibrent toujours : cafés design, galeries d’art contemporain, boutiques d’artisans et restaurants branchés invitent à flâner dans un décor où le passé rencontre le présent. Un théâtre urbain vivant.

> Hackesche Höfe, Rosenthaler Str. 40, 10178 Berlin. Hackesche-hoefe.de


Pension Funk : les années folles en héritage

Cette pension est logée dans un immeuble du quartier de Charlottenburg construit en 1895, qui combine des éléments du Gründerzeit et de l’Art nouveau à Berlin. Mais la Pension-Hôtel Funk est plutôt d’inspiration Art déco, restituant l’atmosphère des Années folles berlinoises.

L’hôtel-pension Funk est situé dans un immeuble du quartier de Charlottenburg construit en 1895.
L’hôtel-pension Funk est situé dans un immeuble du quartier de Charlottenburg construit en 1895.

Car ce petit hôtel de 14 chambres occupe l’ancien appartement de la star du cinéma muet Asta Nielsen, qui y vécut jusqu’en 1937. Icône mondiale du début du XXe siècle, l’actrice accueillait dans ses salons des artistes et intellectuels contribuant à l’effervescence culturelle du Kurfürstendamm. On l’imagine presque descendre l’escalier drapée de velours, porte-cigarette à la main, pour accueillir ses convives.

Les chambres et espaces communs ont été restaurés dans le respect de l’esprit d’époque : mobilier ancien, lustres suspendus à quatre mètres de hauteur, récamiers en velours rouge… L’ensemble crée une atmosphère intime et élégante, où l’on perçoit encore l’empreinte du Berlin d’avant-guerre.

L’hôtel est aujourd’hui un lieu recherché, régulièrement utilisé comme décor de tournages et de séances photo. Il a accueilli de grands noms de la mode comme Kate Moss et Claudia Schiffer, prolongeant ainsi sa réputation internationale.

> Pension Funk, Fasanenstraße 69, 10719 Berlin. Hotel-pensionfunk.de


Delphi Filmpalast : le glamour du cinéma berlinois

Le cinéma Delphi Berlin – ou Delphi Filmpalast am Zoo – est l’un des lieux les plus emblématiques de la culture berlinoise. Construit entre 1927 et 1928 par Bernhard Sehring, il naît comme salle de danse, le Delphi-Palast, accueillant de célèbres orchestres de jazz et de swing. Avec ses nuits animées, il devient rapidement un haut lieu de la vie culturelle berlinoise de l’entre-deux-guerres.

Le cinéma Delphi Berlin – ou Delphi Filmpalast am Zoo – est l’un des lieux les plus emblématiques de l’architecture berlinoise.
Le cinéma Delphi Berlin – ou Delphi Filmpalast am Zoo – est l’un des lieux les plus emblématiques de l’architecture berlinoise.

Fermé en 1943 et presque entièrement détruit par la guerre, le bâtiment renaît après 1945 en une salle obscure ultramoderne de 1 200 places dotée du plus grand écran de Berlin. Dès 1952, le Delphi accueille la Berlinale avant que la compétition officielle ne migre vers le Zoo Palast en 1957. La façade néoclassique ornée de lions en pierre et de vases décoratifs, ainsi que la salle monumentale, ont été soigneusement restaurées, demeurant aussi impressionnantes qu’auparavant.

Le cinéma échappe de peu, en 1980, à la transformation en multiplex grâce à une mobilisation des résidents du quartier. Rénové par la suite, il conserve aujourd’hui son prestige et sa somptueuse salle de plus de 600 places, équipée d’une projection laser 4K. Le Delphi reste un symbole majeur du patrimoine architectural berlinois, de sa vitalité artistique de sa culture cinématographique.

> Delphi Filmpalast, Kantstraße 12A, 10623 Berlin.


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