Grâce à ce projet, Les Chambres de Khamovnaya Sloboda se voient reconnectées au tissu local de Moscou, à la fois du point de vue social et artistique. Les réaménagements successifs en logement collectif puis en bureaux avaient fini par masquer l’âme vibrante du bâtiment historique. « Au premier rendez-vous, mes yeux brillaient, j’ai ressenti tant d’inspiration entre ces murs, déclare l’architecte Varya Shalito. Des générations sont passées, mais ces chambres sont toujours là. » Les voûtes en pierre semblent encore résonner du fourmillement d’activité qu’elles ont connu, au temps des artisans fournissant la noblesse et la famille royale. Il est temps d’écrire un nouveau chapitre, pour refaire de ce lieu l’écrin d’émulation créative qu’il a été.
À lire aussi : Maison Russe : la grandeur des tsars dans un hôtel particulier parisien
Trajectoires de vie
L’histoire de cette renaissance démarre dans le plus grand des mystères. Varya Shalito raconte : « Un jour, à l’été 2021, je reçois un message privé sur Instagram d’une femme que je ne connais pas. Elle me dit que j’ai été recommandée par un ami commun et me propose de venir découvrir un lieu très insolite, que je dois voir de mes propres yeux… » Comment résister ?

Sur place, la sensibilité de l’architecte est piquée au vif. Maya et Taya se sont données pour mission de faire revivre les traditions des salons laïcs populaires au XIXe siècle, offrant la possibilité à quiconque de participer à des soirées créatives nourries de discussions palpitantes. En bonus, une galerie où les artistes pourraient exposer leurs œuvres.
Derrière les nombreuses cloisons ajoutées au fil du temps pour diviser les halls et l’omniprésence de linoléum au sol, Varya en ressent le potentiel. Mais le chantier est ambitieux, tout autant dans sa dimension symbolique qu’architecturale et l’architecte ressent le besoin de se faire épauler. « J’avais besoin d’une partenaire de confiance, c’est ainsi que j’ai proposé à mon amie designer Valeria Nesterenko de s’associer. Nous travaillons fréquemment ensemble car nos visions s’accordent toujours à merveille. »

Les Chambres de Khamovnaya Sloboda écrivent une nouvelle histoire
Ensemble, les deux femmes développent de nouveaux espaces fonctionnels, dans le respect du bâti historique. « Notre objectif : supprimer tout ce qui était inutile, insuffler de la modernité sans exagérer le design ni dénaturer l’âme originelle des Chambres de Khamovnaya Sloboda. » En tenant ce fil conducteur, les deux femmes aménagent un hall d’entrée, deux salles de conférence, deux salons, un vestiaire, des sanitaires et bien entendu, une galerie d’art.

La grandeur de l’architecture et la beauté des voûtes en pierre blanche ont été préservées… et même sublimées. Une bande LED installée dans la salle de conférence souligne les courbes et irrégularités de la pierre. Les sols et l’escalier ont été débarrassés des couches de peintures successives pour retrouver leur aspect d’origine. Aucun détail n’est laissé au hasard : « Les cache-radiateurs, signés Sergei Ponomarev, rappellent le tombé d’une nappe brodée et font un subtil clin d’œil aux travaux de tissage. »
(Re)connexion historique
Varya Shalito et Valeria Nesterenko ont à cœur de travailler avec des objets qui ont un supplément d’âme. La priorité est donc donnée aux meubles anciens chinés et aux créations originales et contemporaines faites main. « Nous soutenons bien entendu les artistes russes. Le grand lustre du salon a été tissé à partir d’un kilomètre de fils émeraude par la créatrice Natalia Melnik, installée à Kolomna – une région administrative de Moscou. »
Il a été affectueusement surnommé « lustre sirène » et est devenu une inspiration pour d’autres projets des deux architectes. Le début d’une belle collaboration ! La singulière chaise en cordes est de cette même artiste.

Meubler les différentes pièces a généré son lot d’anecdotes et de rencontres… et continue de faire des émules. Pour preuve, l’incroyable histoire d’un buffet vintage installé dans le salon vert. Au hasard de ses pérégrinations, Valeria acquiert cette pièce qui s’avère être la partie supérieure d’un grand vaisselier. Quelques mois après l’ouverture de l’espace culturel, elle rencontre l’éditrice d’un magazine : les deux femmes réalisent que l’autre partie du meuble est au sein des bureaux de la rédaction ! « Une histoire qui n’aurait jamais été possible sans notre attrait pour le vécu », conclut malicieusement Varya.
À lire aussi : SchloR : à Vienne, des acrobates concrétisent l’utopie communautaire