« L’histoire des miroirs est tissée de magie et de poésie, de luxe et de vanité, de mythes et de croyance, d’espionnage industriel et de psychologie moderne, de culture et de conscience de soi », préviennent d’emblée les filles de Front. Vous l’aurez compris, pour cette exposition, Sofia Lagerqvist et Anna Lindgren ont longuement étudié (près de trois ans!) l’histoire des miroirs au cours des siècles. Elle se sont aussi bien penchées sur leurs procédés de fabrication que leur symbolique pour l’être humain. Les sept miroirs exposés aux murs de la galerie Kreo sont comme de grands bijoux qui font voyager l’œil et l’esprit dans le temps.
Les populations préhistoriques n’avaient que la surface de l’eau pour se mirer, d’où cette première table au plateau en forme de flaque de verre, réalisée à partir du scan d’une vraie nappe d’eau, qui a même capturé le léger tremblement des détails de sa surface. Cette étendue de verre fondu mêle le scientifique au poétique.
Front remonte aux origines de l’humanité
Par la suite, les humains ont très tôt fabriqué des miroirs plats. La palme du plus ancien revient au miroir d’obsidienne, qui inspirera même un livre à André Malraux, fasciné par les objets à histoire. Cette pierre volcanique, dont la surface noire une fois polie était du meilleur reflet, s’utilisait déjà il y a huit mille ans ! Front a produit sa version de ce miroir premier à partir d’un dessin archéologique de scientifiques de l’Université de Cambridge. Aucun outil moderne n’a été utilisé par Michel der Agobian (le fondateur de Cub-Ar, éditeur d’objets précieux en obsidienne d’Arménie qui travaille avec des archéologues rompus aux techniques de taille) avant que le miroir ne soit serti dans une monture d’argent, comme dans le chaton d’une bague de joaillier XXL.
La promenade au milieu de ces créations sculpturales téléporte ensuite le visiteur jusqu’en Chine vers 2000 avant J-C. A cette époque, les miroirs de bronze se portaient en parure, attachés à la ceinture. Celui de Front est orné d’un cadre en forme de corde nouée, évocatrice de cet usage. Détail incroyable, la fonderie italienne Marinelli d’Agnone, qui s’est chargée de sa fabrication, a été créée en 1339, pour rester dans la même famille 680 ans plus tard !
Miroitier, un savoir-faire prisé
Pièce après pièce, l’exposition égrène ainsi l’histoire humaine, et pas simplement celle de l’objet. Le miroir convexe de Front montre quelque chose de ceux de la Rome antique. Idem pour ces modèles en verre plat du XIIIe siècle, créés à partir d’un cylindre que l’on déformait ensuite. Les procédés de fabrication des miroirs secrets vénitiens étaient d’une telle valeur qu’on enfermait les verriers de Murano. Leur savoir-faire était si prisé qu’il donna à certains le droit de porter des armoiries.
Sofia Lagkervist et Anna Lindgren soulignent aussi qu’à une certaine époque, les miroirs se vendaient une fortune, jusqu’à l’équivalent du prix d’un navire de guerre. L’Italie a été très tôt à la pointe des techniques. En 1600, c’est d’ailleurs un Italien, Gerolamo Barbini, qui est intervenu dans la fameuse Galerie des Glaces du château de Versailles. Pour la petite histoire, les Barbini officient toujours à Murano…
Une « Magic Collection »
Beaucoup de poésie se dégage de cette suite d’objets précieux, comme avec cette image photographique insérée à même le verre du vase-miroir réflexion. Une apparition fantôme… Avec cette exposition, Front donne un nouveau développement à son idée de « Magic project » initiée en 2007, déjà chez Kreo, avec la volonté d’enchanter la sphère autour de chaque objet. Miroir-miroir, hybride de vase ou de table basse, verre soufflé, moulé ou coulé… Avec en prime, pas un des sept miroirs qui ne rende aux artisans un splendide hommage, contemporain et érudit.
> A voir à la galerie kreo (31, rue Dauphine, 75006 Paris). Jusqu’au 24 juillet 2021.