A chaque génération de Boudon, son Café de l’Alma. Si on le nomme désormais simplement «L’Alma», cette brasserie bien connue des habitants du 7e arrondissement de Paris est passée sous le bistouri de l’un des duos d’architectes d’intérieur français les plus prolifiques, Gilles et Boissier.
Le renouveau d’un repère bien connu
On y vient pour dévorer un menu du midi ou pour refaire le monde autour d’un bon vin. Le Café de l’Alma a plusieurs casquettes depuis toujours. Puisque la famille, propriétaire de plusieurs adresses à Paris (la Fontaine de Mars et le N°41), vient de laisser les rênes à sa fille ainée, Jeanne, il était normal qu’elle s’en approprie les murs. La carte a donc été mise à jour, avec le concours du chef Joris Eddahri et de la cheffe consultante Flora Mikula : elle conserve les tartares, les œufs-mayo et les belles pièces de viande mais ajoute des plats plus contemporains comme des crudo ou des pâtes sophistiquées.
Pour illustrer sa vision, Jeanne Boudon a fait appel à Dorothée Boissier et à Patrick Gilles, un duo reconnu pour sa patte parmi les plus élégantes du métier. Pour cette réalisation, le leitmotiv était : simplicité et évasion.
Entretien avec Patrick Gilles, à l’occasion de la rénovation du Café de l’Alma
IDEAT : Connaissiez-vous le Café de l’Alma avant que l’on vous confie le projet ?
Patrick Gilles : Nous connaissons la famille Boudon depuis 20 ans et, pour autant, c’est la première fois que nous collaborons. L’idée était délicate car notre amitié aurait pu être un frein à une collaboration saine. Une conversation a suffi à établir des règles et à rappeler que, chacun dans notre domaine, nous sommes des professionnels avertis, aptes à délivrer du travail de qualité, même par le biais d’une amitié aussi longue que la nôtre.
Qu’est-ce qui a motivé la famille à repenser les lieux, déjà rénovés par François Champsaur ?
P. G. : Le décor de François Champsaur datait déjà de plus de dix ans. Il correspondait à une époque, à un passage de témoin entre Jacques Boudon et son père, qui avait fondé le Café de l’Alma. Puisqu’il avait été décidé que Jeanne, la fille de Jacques, reprendrait la gérance, il semblait logique de la revamper.
Qui a donné la direction de la nouvelle décoration ?
P. G. : L’idée était de totalement s’émanciper de l’ancien Café de l’Alma, d’aller presque à son opposé. Jeanne avait envie d’un établissement beaucoup plus clair, ouvert, de trouver une communication entre les deux étages jusqu’alors plutôt cloisonnés. L’Alma n’est pas un restaurant, c’est une brasserie revisitée : Jeanne voulait incarner cet état d’esprit. Elle qui a beaucoup voyagé, nous a également fait part de ses références new-yorkaises, de l’amour qu’elle avait pour les Hamptons…
Finalement, avait-elle envie d’ancrer L’Alma dans son époque ?
P. G. : Les rénovations entreprises pour Jacques par François Champsaur, à leur époque, étaient révolutionnaires. C’était d’ailleurs aussi par un manque de cohérence avec son temps que le Café de l’Alma avait revu sa copie. Jeanne s’émancipe de la même façon afin de remettre l’adresse à la bonne place, sans en faire une brasserie « à la mode ». Elle a d’ailleurs également choisi d’appeler son établissement L’Alma et d’en ôter la mention «café». Jusqu’à la prochaine génération…
Comment décririez-vous ce nouveau décor signé Gilles & Boissier ?
P. G. : Le voyage est définitivement au cœur de notre proposition. C’est pour cela que nous avons souhaité une coquille très claire, presque blanche, qui ferait presque oublier Paris. Sommes-nous en Bretagne ? Dans les Hamptons ? Nous nous sommes écartés au maximum de la définition d’un café parisien. Pour cela, nous avons opté pour un jeu de matières et de motifs (floraux, animaliers…) qui, à la façon d’une recette que l’on concocte, finit par s’amalgamer en un ensemble cohérent. Nous voulions de la simplicité.
Techniquement, que s’est-il passé ?
P. G. : Nous avons tout changé ! Pour s’adapter aux contraintes du service d’aujourd’hui, nous avons bougé la place du bar, celle de l’escalier et des toilettes. Nous avons opéré une percée entre le rez-de-chaussée et l’étage afin de favoriser la lumière naturelle et, comme le souhaitait Jeanne, faire communiquer les deux espaces. Le fait d’avoir ouvert le plafond a d’ailleurs permis à certains habitués de découvrir l’étage dont l’escalier était jusque-là plutôt caché. C’est pour cela que nous avons choisi de mettre en scène deux atmosphères distinctes entre ces étages, afin de permettre aux clients de choisir celle qui leur correspond, et non plus de se sentir comme « punis » en s’installant en haut.
Cet étage comprend lui-même plusieurs ambiances…
En effet, il présente différentes attitudes. Cette alcôve à privatiser donne l’impression de dîner dans une forêt. Juste à côté, c’est une ambiance plutôt inspirée des Caraïbes qui s’illustre avec ce sol léopard, des sièges en rotin et un motif tropical. Enfin, une grande banquette rose donne à son coin une allure plus élégante.
Avez-vous conçu le mobilier ?
Dans sa quasi totalité, à l’exception des chaises. Nous ne souhaitions pas faire une démonstration de force avec cette réalisation, plutôt ouvrir cette adresse à tous. Ainsi, les assises ont trouvées aux catalogues de jolies marques (Thonet et Drucker) pour apporter du relief à notre proposition et faire quelque peu oublier notre signature en tant que décorateurs.
> L’Alma. 5 Av. Rapp, 75007 Paris. Réservations.