Le soleil est éternel chez Carmona, le nouveau restaurant andalou du XVIe arrondissement de Paris. En cuisine, le chef colombien Esteban Salazar exécute une cuisine résolument inspirée de la péninsule ibérique mais aussi de la Méditerranée qui la borde. En salle, c’est le créateur de mode et désormais décorateur Alexis Mabille qui met en scène les couleurs de l’Alhambra dans un décor aérien et chaleureux.
Questions à Alexis Mabille, décorateur du restaurant Carmona :
IDEAT : Le grand public vous connaît surtout pour vos créations de haute couture. D’où vous vient cet attrait pour la décoration ?
Alexis Mabille : J’ai toujours traîné avec des personnalités du monde de l’architecture d’intérieur et de la déco. A l’époque où j’étais à l’école — à la Chambre Syndicale de la Couture avant que celle-ci ne rejoigne l’IFM, ndlr—, je faisais la fête avec Joseph Dirand et sa bande qui sont devenus mes amis. En fait, si je n’avais pas fait de la mode, c’est ce que je ferais à plein temps aujourd’hui. Je me suis toujours façonné des appartements plus que jolis alors, avec le bouche-à-oreille, des clientes puis des amis m’ont demandé de faire la même chose chez eux. L’idée a pris de l’envergure, je suis devenu ambassadeur pour Cointreau qui m’a confié la réalisation d’un bar éphémère il y a dix ans, MOMA m’a ensuite approché pour le projet Froufrou, LVMH avec le Cipriani Saint-Tropez…
Tissez-vous des liens entre les deux disciplines ?
A. M. : En mode comme en décoration, mon travail se tourne avant tout vers la couleur, la matière, la lumière. Le détail est aussi l’une de mes priorités : les petites choses dont les gens ne se rendent pas compte signent le succès d’un projet. Une lumière parfaitement réglée, une assiette qui répond au plat qu’elle abrite… Si l’élément n’est pas équilibré, l’œil le note tout de suite. Alors que si tout est aligné, le naturel prévaut. C’est comme une belle robe portée avec élégance ou un maquillage ni trop fort, ni trop fade.
Doit-on vous qualifier de décorateur ou d’architecte d’intérieur ?
A. M. : Je suis un décorateur. Je n’ai pas de diplôme en architecture d’intérieur ! Je n’ai pas de problème avec ce mot que certains éliminent de leur langage : il y a eu de très grands décorateurs à travers les époques, je suis fier de me définir comme tel. Je prends des carcasses vides ou presque, je retourne l’espace, je crée des univers. Je fais des décors, littéralement. C’est ce qui s’est passé pour Carmona : on m’a proposé le brief d’un restaurant andalou, je l’ai mis en scène.
Pouvez-vous nous en dire plus sur Beau Bow, votre studio dédié à la décoration ?
A. M. : Beau Bow est une entité qui existe depuis un moment déjà mais il est vrai que je n’ai accéléré la communication sur mes projets de décoration que récemment, avant la pandémie. Le nom vient de cette époque où l’une de mes collections a explosé, celle autour des nœuds. Colette nous avait exposé, Karl Lagerfeld et Mick Jagger, entre autres, en sont tombés dingues. Cette ligne s’appelait Trésor et je signais sous Beau Bow (« bow » signifie « nœud » en anglais, ndlr) d’autres idées autour de ce concept. Le nom est donc ressorti naturellement, comme un totem, pour mon activité en décoration. Il exprime cet art de vivre transversal que j’essaie de diffuser à travers mes collections haute couture et mes projets de déco, qui se font écho d’ailleurs. Néanmoins elles ne se répondront jamais directement car je n’aime pas cette idée de déclinaison, un temps très commune, qui amenait le tissu d’une collection mode à se retrouver sur un coussin. Je ne m’habille pas comme je décore ma chambre.
Parlez-nous du décor de Carmona…
A. M. : Mon décor comporte quelques touches premier degré — des coquilles Saint-Jacques, en référence au chemin de Compostelle qui passe par Séville, la couleur ocre, la terre cuite qui me rappellent l’Alhambra, des grosses lanternes chinées aux Puces et retapées … Le projet fait également écho à cette notion de conversation entre extérieur et intérieur qui caractérise les patios andalous. C’est pourquoi la salle de diner s’ouvre sur l’extérieur comme dans un patio et pourquoi nous avons apporté tant de soin à l’allée qui mène au restaurant, plantée de cyprès dans des beaux pots en terre, ponctuée de lavande.
Avez-vous dessiné le mobilier du restaurant ?
A. M. : Je pense que pour qu’un projet soit fort, il est difficile de travailler avec de l’existant. C’est pourquoi je crée un maximum sur mesure, ce qui ne veut pas forcément dire que je dessine tout, mais chaque pièce ou détail a été pensé pour son lieu. Par exemple, chez Carmona, j’utilise de sublimes textiles dont les motifs préexistaient mais j’ai demandé à la manufacture de les agrandir afin d’en renforcer l’intensité. De la même façon, des fauteuils en rotin parsèment l’espace mais leur vernis a été revu avec son fabriquant pour se fondre dans le décor. Enfin, bien sûr, j’intègre aussi des pièces de collection pour patiner mes décors, comme ici avec cette belle fontaine du XVIIIe siècle. Carmona est un bijou unique.
Comment décririez-vous le menu du chef Esteban Salazar ?
A. M. : L’essence de Carmona est andalouse, néanmoins notre inspiration globale se mêle clairement à l’univers de la Méditerranée. Esteban, qui est d’ailleurs colombien, a donc composé une carte empreinte d’Espagne mais résolument délicate. Ses assaisonnements sont d’une précision folle, un détail qui m’a frappé et qui fait écho à ma façon d’envisager les projets. Aussi, je trouve que le chef a parfaitement relevé le défi de promouvoir une cuisine espagnole qui n’a rien d’écrasant. Même ses pièces frites, ses croquetas, sont d’une légèreté à toute épreuve !
La suite pour vous, Alexis Mabille ?
A. M. : Après la Maison de la Truffe, à Paris, nous venons d’ouvrir Kaspia à Los Angeles. Quant à Carmona, le groupe* souhaite faire voyager la destination en Europe. Bientôt, peut-être…
> Carmona. 10 Av. de New York, 75116 Paris. Réservations.
*Michel Puech, ex-Manko, et Samir Yalaoui, ex-Roxie, viennent d’accueillir David Dray et Kevin Sebag pour former un groupe d’associés dans l’optique d’étendre leurs adresses à l’étranger, ndlr.