Il s’agit de son premier restaurant en tant que chef-propriétaire, pourtant, Omar Dhiab parle et pense comme un entrepreneur-né. La trentaine tout juste passée, le chef d’origine égyptienne vient d’ouvrir une adresse à laquelle il a donné son nom et dont il a imaginé la trame architecturale. Pour l’accompagner, il a choisi Hauvette & Madani, un duo prolifique en matière de rénovation d’appartements mais novice dans l’exercice du restaurant : l’assurance pour lui d’une ardoise vierge sur laquelle écrire son histoire.
Interview croisée d’Omar Dhiab et de ses architectes Hauvette & Madani
Omar Dhiab, vous avez fait vos armes dans de belles maisons étoilées. Comment en êtes-vous arrivé à la conclusion qu’il était l’heure de voler en solo ?
Omar Dhiab : J’ai commencé la cuisine à 15 ans. Depuis l’obtention de mon CAP, je n’ai fréquenté que des institutions prestigieuses — La Serre, Le Pavillon Ledoyen et L’Abeille au Shangri-La, pour ne citer qu’elles. J’ai pris ma première place de chef en 2019, à Loiseau Rive Gauche, couronné d’une étoile en 2020. Après le confinement, je me suis rendu à l’évidence : j’étais prêt à ouvrir mon propre restaurant.
Apposer votre nom à votre enseigne : envie ou nécessité ?
O. D. : Pourquoi appeler un restaurant par un patronyme devrait-il être incongru alors que les galeries jouent ce jeu depuis très longtemps ? Je trouve qu’aujourd’hui, on dîne « chez un chef ». Dans le langage courant, on dit d’ailleurs : « j’ai mangé chez… ». Je ne me voyais donc pas trouver ou inventer un nom et une histoire à ce premier restaurant qui allait de toute façon être très personnel. Je voulais raconter mon histoire en étant le plus honnête possible.
Samantha Hauvette : Donner son nom à un établissement dit aussi beaucoup de l’intimité qui est engagée en cuisine, comme c’est le cas chez Omar.
Comment s’est passée la rencontre avec le duo Hauvette & Madani ?
O. D. : Un ami commun nous a présentés. Ce qui m’a plu chez Hauvette & Madani, c’était qu’ils n’avaient jamais planché sur la typologie du restaurant. Je ne voulais pas d’un architecte qui soit rodé voire fatigué de l’exercice. Cela a eu ses avantages et ses inconvénients, c’est vrai, mais cela nous a permis d’écrire notre propre histoire, qui ne ressemble à aucune autre.
Comment les rôles se sont-ils répartis ?
Lucas Madani : Omar avait déjà une idée bien précise de ce à quoi allait ressembler son restaurant…
O. D. : J’ai trouvé ce local au mois de décembre 2021. Dès sa visite, j’avais déjà en tête la forme qu’allait prendre cet espace tout en longueur. J’ai tout de suite su que la cuisine s’installerait aux avant-postes, dans l’entrée, et que mes convives dîneraient dans l’arrière-salle. Ainsi, il leur faut passer devant tous les commis et chefs de cuisine pour prendre place à table. Le client a donc la chance de saluer l’équipe quand il arrive et la remercier — ou la conspuer — en partant. Cet aménagement était très important pour moi car je me suis progressivement rendu compte qu’un cuisinier met quasiment 15 ou 20 ans avant de voir ses clients. En général, la cuisine est au sous-sol ou dans une arrière-salle. Ici, l’idée était que l’équipe puisse reconnaître les habitués, mettre des visages sur ceux qu’ils vont servir. Rendre cette expérience vivante.
L. M. : Notre travail à Samantha et moi a donc débuté sur ces bases. Le reste a suivi naturellement. Diviser la salle du restaurant en deux petits salons d’ambiance et un plus large, par exemple, nous est venu afin de jouer sur le manque de lumière naturelle et d’accorder une intimité à chaque des 30 convives qu’elle peut accueillir.
O. D. : J’ai laissé le studio faire son travail bien sûr et, connaissant leurs réalisations et leur style, je leur faisais entièrement confiance. Nous nous correspondons je trouve. Cependant, je tenais à retrouver au restaurant des matières et des couleurs que j’aime comme le noyer, le chêne… Samantha et Lucas ont eu l’idée de laquer le couleur de rouge sans savoir que c’était ma couleur préférée !
Parlez-nous de l’architecture intérieure du restaurant.
S. H. : Un diner chez Omar Dhiab est un véritable parcours qui prend forme auprès de sa brigade, dès l’entrée, autour d’une cuisine ouverte. Il faut ensuite remonter — littéralement, nous avons dessiné une pente douce afin d’installer les cuisiniers comme sur un podium — les six mètres de long du bar de la cuisine et pénétrer dans un couloir aux murs laqués de rouge profond, sorte de sas entre la cuisine et sa salle, qui mène à table. Cet espace de restauration est délimité en trois volumes : un plus large qui comporte plusieurs tables et deux alcôves pouvant être fermés par des rideaux. Nous avons accordé une importance particulière à l’acoustique en installant de la moquette au sol et recouvrant le plafond d’un enduit spécial afin de garantir une certaine intimité. En bref, nous avons tout mis en œuvre pour nous éloigner d’un restaurant traditionnel et donner la sensation d’une invitation à la maison.
O. D. : Je trouve que la salle du restaurant donne l’impression d’avoir toujours existé. Je n’aime pas les endroits neufs, j’aime ceux dans lesquels on rentre et on se demande depuis quand il est ouvert… Même s’il est tout nouveau.
L. M. : La patine est d’ailleurs un propos qu’on retrouve beaucoup dans notre travail, surtout auprès des particuliers. On ne fait jamais de l’architecture où tout est propre.
Pourrait-on dire que l’écriture d’un projet d’architecture d’intérieur est semblable à celui d’un menu ?
O. D. : Complètement. Dans ce décor, tout vient de l’homme : la tapisserie des banquettes, les angles des tables… Rien n’a été laissé au hasard et c’est justement la continuité de ce que l’on fait en cuisine. Du bois comme un légume est noble par essence mais peut ou non prendre une forme d’autant plus intéressante grâce au travail de la main de l’homme.
L. M : Sentir la main de l’homme dans la décoration est un point qui tout de suite ressorti de notre discussion avec Omar. C’est pourquoi l’humain est mis au premier plan dès l’entrée avec la cuisine ouverte et les membres de l’équipe en action. On retrouve aussi son geste sur les murs de la salle de restauration qui ont été patinés à la main, une expertise particulière, le mobilier est lui aussi manufacturé, réalisé sur-mesure.
Avec vos mots, comment décririez-vous cette décoration ?
O. D. : Elle me ressemble. Je m’y sens chez moi. Elle est minimaliste, épurée, exactement comme je le voulais.
S. H. : Quand on imagine un décor, on ne cherche pas à apposer le dernier pastiche à la mode, on ne pense pas à la photo Instagram… Les architectures qu’on imagine doivent ressembler aux gens pour qui nous les avons pensées. Nous traduisons, personnifions, des personnes en concepts architecturaux.
O. D. : Le restaurant incarne le contraste entre le milieu d’où je viens, modeste, et celui dans lequel j’ai fait mes armes en cuisines, celui des tables étoilées. Cela me tenait à cœur que chacun s’y sente à l’aise, peut importe son statut social. La décoration élégante mais pas du tout guindée.
A l’inverse, Samantha et Lucas, comment décririez-vous la cuisine d’Omar ?
S. H. : C’est très bon déjà ! Je dirai élégante, maitrisé et ultra moderne.
L. M. : Authentique. Sa cuisine me réconforte, me rappelle des souvenirs. Je trouve qu’Omar twiste et modernise une cuisine traditionnelle. C’est tellement agréable de reprendre goût aux saveurs de nos grands-mères — ne ratez pas le croque-ris de veau ! Finalement, on peut là aussi faire un parallèle avec notre décor, à l’image de cette laque dans le couloir, typique des années 30, qu’on a modernisé pour l’occasion.
> Restaurant Omar Dhiab, 23 Rue Hérold, 75001 Paris. Site internet