Argiolas x Pretziada : en Sardaigne, un domaine viticole et un studio de design célèbrent le patrimoine

Une collaboration inédite est née entre viticulteurs et artisans aux projets résolument contemporains, nourrie par la richesse du patrimoine sarde.

En Sardaigne, le domaine viticole Argiolas a fait appel au studio de design Pretziada pour célébrer le 30è millésime (2018) de la cuvée Turriga. Cette collaboration a engendré six projets artistiques, aussi variés qu’inspirés, qui soulignent la grande richesse culturelle de ce territoire insulaire.

Marquer le coup

Les plus belles rencontres sont parfois les plus inattendues… Une erreur d’adressage dans un e-mail, suivi en retour d’un rapide mot pour signaler la mauvaise manip’ et en même temps saluer la qualité des projets de design mis en œuvre… C’est ainsi que la contact entre le duo instigateur du label Pretziada – Kyre Chenven et Ivan Atzori – et Valentina Argiolas, du domaine viticole éponyme, s’est établi. Sans qu’aucune demande spécifique, d’un côté comme de l’autre, ne guide l’échange.

D’ailleurs, Pretziada – précieux en dialecte sarde – avait jusqu’alors toujours agi de son propre chef dans son approche du design qui les caractérise : contacter des artisans au savoir-faire traditionnel afin de leur soumettre des projets résolument contemporains, avec l’ambition première de revitaliser ce patrimoine vivant de la Sardaigne

Quelques mois plus tard, Valentina s’est souvenue de ce rapide échange lorsqu’il s’est agi d’imaginer une opération visant à marquer le 30è millésime de la cuvée Turriga. En Sardaigne, ce vin rouge composé de cépages autochtones (Cannonau, Carignano, Bovale Sardo et Malvasia Sera) figure parmi les plus beaux succès œnologiques du territoire.

Il faut remonter un demi-siècle en arrière lorsque le grand-père de Valentina, Antonio Argiolas, s’est inspiré de quelques aventures viticoles ambitieuses à travers le monde (viticole), pour les retranscrire sur son île. Le millésime 1998 du Turiga sera ainsi le premier vin d’un genre nouveau pour l’île, capable de s’exporter sans dommage, et même de gagner en noblesse avec le temps. Comme ses prédécesseurs, le millésime 2018 a nécessité environ trois ans et demi d’élevage – en barique – dans les caves du domaine situé à Serdiana (20 km au nord de Cagliari) avant d’être révélé en juin dernier au public.

Une partie de ce temps de maturation a permis à Pretziada de murir son projet baptisé Dialogo Adagio— pour la première fois devant répondre à une commande – et d’embarquer dans l’aventure d’autres acteurs du territoire. « A travers la célébration de ce millésime anniversaire, nous avons souhaité mettre en lumière la démarche à la fois innovante et en prise avec la terre de la famille Argiolas. Aussi, dès le début, il était clair pour nous que leur histoire, et celle de ce vin, devraient être racontée par une communauté d’artistes, à l’image de l’équipe dévouée et en interaction constante qui produit chaque bouteille de Turriga » explique Kyre et Ivano.

Raconter une histoire commune

A gauche, tapisserie de Mariantonia Urru pour la collaboration Argiolas x Pretziada, à droite céramiques de Maria Paola Piras
A gauche, tapisserie de Mariantonia Urru pour la collaboration Argiolas x Pretziada, à droite céramiques de Maria Paola Piras DR

Ainsi, le duo a proposé à six artisans et artistes sardes de livrer leur interprétation, chacun selon son médium d’expression, des matériaux essentiels de l’île : la terre, le bois, la laine, le raisin… « En s’attachant à la charge émotionnelle de chaque matériau, chaque membre du groupe a apporté son essence au projet. C’est un dialogue doux et mesuré qui a permis de produire une histoire commune, une mémoire partagée, complexe, harmonieuse et organique », de souligner le duo.

La céramiste Maria Paola Piras s’est par exemple inspirée d’un récipient de la période nuragique appelé s’Askoide. Sa version conserve la forme sensuelle de l’original mais joue avec les proportions, à travers notamment une anse exagérée. Disposant d’un finition unique, chaque vase utilise de l’argile, en proportions variables, provenant des vignobles – Sa Tanca, Is Solinas et Sisini – servant à produire le Turriga.

Les « ustensiles » de Karmine Piras sont quant à eux taillées dans des ceps de vigne vieux de plusieurs décennies. Conçues d’après les cuillères agricoles surdimensionnées de la Sardaigne pastorale, ces œuvres offrent un contraste saisissant entre la main du sculpteur et le matériau naturel éprouvé par le temps qui dans le même temps a perdu sa productivité. Ces cuillères s’imposent par leur utilité secondaire, l’utilité de la beauté et de la forme, et sont une relique de la vigne.

L’une des interactions les plus importantes lors de la culture du raisin réside dans la taille de la vigne. Chaque plant doit être observée de près afin de préserver l’équilibre délicat entre la quantité et la qualité de sa production. La tapisserie réalisée par Mariantonia Urru illustre le contraste entre le façonnage contrôlé de la vigne, et le chaos sauvage et souterrain résultant de l’interaction entre les racines et la terre. Le tissage est réalisé avec de la laine sarde, teintée avec les quatre cépages différents utilisés dans la production de Turriga. Détail intéressant, pibiones, le nom de la technique employée pour créer cette tapisserie, signifie raisin en sarde.

Influencée par la texture de la vigne, Martina Silli a créé une série de trois gravures qui représentent graphiquement les différents éléments qui participent à la création du vin. Ses gravures évoquent des collines et des vallées, des racines qui deviennent des branches, des microcosmes qui existent dans la terre bigarrée. Une fois les gravures réalisées, l’artiste a superposé les images sur une toile de fond créée à partir des racines d’une jeune vigne pour réaliser un cyanotype. Cette technique requérant une exposition prolongée au soleil permet de colorer certaines zones d’un papier, créant ainsi une représentation imparfaite et naturelle de la plante.

Ustensiles de Karmine Piras
Ustensiles de Karmine Piras DR

L’homme et la nature

Le film « Dialogo Adagio» de Roberto Ortu (assisté par Francesco Piras) documente la relation spécifique entre l’homme et la nature qui se crée durant le processus de vinification. La caméra suit ainsi la famille Argiolas et ses équipes durant toutes les phases de l’élevage du vin. Les images combinent éléments naturels propres au territoire sarde et travail à la cave, dans une mise en perspective oscillant entre quotidien et onirisme.

Si chacun des projets disposent d’une matérialité autonome, cette sixième proposition est le fruit d’une intervention directement au cœur de la cave d’Argiolas. Dans l’un des tunnels reliant les différents espaces d’élevage, l’artiste Matteo Brioni en a recouvert les parois à l’aide d’enduits en terre crue. Ceux-ci ont été réalisés à partir d’échantillons de terre prélevés dans chacun des vignobles du domaine, comme pour souligner l’importance de la terre dans l’art de la vinification.

Pour ceux qui envisagent un voyage en Sardaigne durant l’été, l’ensemble du projet « Dialogo Adagio » est visible au domaine Argiolas jusqu’à la fin septembre, aux heures d’ouverture de la boutique (en semaine 10h-13h et 15h-18h ; le samedi 9h-13h)

> Cantina Argiolas, Via Roma, 28/30, 09040 Serdiana.