«Il s’agit pour nous de travailler autant sur les classiques de Fritz Hansen que sur le design contemporain. Pour les classiques, la maison, qui est riche en archives, œuvre avec les ayants droit des architectes et des designers. Pour le contemporain, il s’agit aussi bien de professionnels danois qu’internationaux. »
C’est en ces termes que Marie-Louise Høstbo, responsable du design de l’entreprise, de passage à Paris, a précisé les lignes du futur de Fritz Hansen, entre raretés des années 50 et nouvelles versions de produits déjà phares, dont l’emblématique chaise Série 7, du designer Arne Jacobsen, éditée depuis sa création, en 1955, par l’enseigne.
Une réédition surprenante
Cette assise se voit désormais tendue de velours dans un grand choix de couleurs défini par la spécialiste milanaise de mode, de design et de lifestyle Carla Sozzani, fondatrice de l’un des premiers concept-stores européens, 10 Corso Como, dans la capitale lombarde (voir p. 286). Fritz Hansen remonte aussi le temps avec la lampe Kaiser Idell, très Bauhaus, dessinée à la fin des années 30 par Christian Dell, et qui revient en finition Easy Grey comprenant une suspension et une applique murale. Autre luminaire culte au Danemark, injustement méconnu en France, la suspension Concert.
Éditée en 2005, coûtant désormais moins de 400 euros, déclinée en noir et en deux tailles, elle est signée par le Danois Jørn Utzon, architecte de l’Opéra de Sydney – son abat-jour rappelle quelque peu le style du célèbre bâtiment.
Pour qui, bien à tort, n’accorde pas trop d’importance aux tabourets, ceux de Fritz Hansen sembleront d’autant plus raffinés. Arne Jacobsen, star débonnaire du design danois, avait dessiné il y a cinquante ans le Dot, assez minimal. Pour dissoudre toute austérité rétro, le revoilà en Raf Simons, ex-styliste de Dior, avec les tissus Ria de Kvadrat – éditeur danois tout aussi reconnu. Même les accessoires se sophistiquent. Des coussins aux motifs en relief conçus par Jacobsen, en vert pâle et en brun clair, se fondent idéalement dans les intérieurs actuels.
Quant au vase Ikebana, de Jaime Hayón, best-seller du pique-fleur, il se réinvente sous forme de mini-vase en verre soufflé sur une base en acier inoxydable. Le designer espagnol a aussi retravaillé les fauteuils Ro (2013) et Fri (2015), qui ont fait de lui, comme l’a titré un journal espagnol, « El rey de Dinamarca » (« le roi du Danemark »).
Des tissus, inspirés de voyages en Thaïlande, habillent ces pièces d’un jour nouveau. Enfin, les fans retrouveront les chaises Fourmi et la table Egg, d’Arne Jacobsen, créées en 1952 pour la cantine de l’entreprise pharmaceutique Novo Nordisk avec, cette-fois-ci, un plateau en noyer (plutôt qu’en teck, en palissandre ou en hêtre) et des pieds chromés.
Dès 1878, une première icône
Que de chemin parcouru depuis 1872 ! L’innovation a commencé de bonne heure. La firme, installée dans Copenhague, acquiert rapidement des terres, de la lande et des forêts, à une quarantaine de kilomètres en train de la ville. Le but ? S’assurer l’approvisionnement en bois, bouleau en tête. Dès 1878, Fritz Hansen réalise pour son propre bureau une chaise toute simple en bois, icône du minimalisme danois. Et à la fin des années 20, l’enseigne collabore déjà avec des designers internationaux et devient partenaire de la société autrichienne Thonet, spécialisée dans le bois courbé. Plus tard, elle travaille avec le Néerlandais Mart Stam, l’un des premiers à utiliser du tube de métal cintré pour faire des sièges. Les architectes ont, eux aussi, été des acteurs phares de l’évolution de l’entreprise.
Au Parlement du Danemark, on peut encore voir les chaises d’Arne Jacobsen. L’autre maestro du design danois s’appelle Kaare Klint. Ses assises meublent toujours la sculpturale église de Grundtvig, inaugurée en 1927 par son père, Peder Vilhelm Jensen-Klint. Dès les années 30, l’innovation réside également dans le fait de travailler avec des créateurs atypiques, comme Hans Wegner ou l’architecte Vilhelm Lauritzen. Lesquels collaborent avec une société déjà rompue aux techniques de packaging, livrant à plat des sièges ou tabourets d’une belle qualité artisanale à monter soi-même.
Jacobsen et Kjaerholm, deux trésors danois
Après le second conflit mondial, alors que le style danois s’exporte, notamment aux États-Unis, deux architectes importants entrent en scène. Poul Kjærholm (1929-1980), tout juste sorti de son école, devient en quelque sorte le directeur du design de Fritz Hansen, tout en créant du mobilier. Au même moment, les chaises des projets d’architecture d’Arne Jacobsen viennent grossir le catalogue des sièges empilables en bois courbé. Jacobsen et Kjærholm sont alors les figures incontournables de l’éditeur.
Le Danois Verner Panton a lui aussi fourbi ses armes chez Fritz Hansen avant de migrer en Suisse, sa farouche indépendance sous le bras. Marie-Louise Høstbo opère un rapprochement avec Jaime Hayón, très soucieux de proposer des choses qui sortent de l’ordinaire.
Avec son canapé Favn, il a en effet été le premier étranger à faire sensation au Danemark et à l’échelon international. Dans le registre de l’exception, plus sculpturale encore, une chaise en contreplaqué courbé, de Poul Kjærholm, datant du début des années 50, va sortir le 5 avril en noir et en pin Douglas. Même si le style est perçu comme métallique et sans rondeurs, Poul Kjærholm, ébéniste de formation, connaissait bien le travail de Charles et Ray Eames. Rouge à l’origine, cette assise ne fut produite qu’à 700 exemplaires, en 1997.
À voir aussi, la table PK 60, de Kjærholm, jamais présentée, avec son plateau en marbre norvégien un peu vert, agréé par ses héritiers. Et Marie-Louise Høstbo de conclure : « On ne réédite que ce qui est pertinent aujourd’hui : beau, durable et fonctionnel. » Comme une définition du design danois.
> Du 15 au 17 juin, lors de la manifestation 3 Days of Design, à Copenhague, une grande exposition Fritz Hansen se tiendra au Design Museum, un bâtiment ancien transformé dans les années 20 par Kaare Klint. Fritzhansen.com