À l’heure où la réhabilitation trouve enfin ses lettres de noblesse en architecture, il n’est pas anodin de voir des architectes, même célèbres, revendiquer cette pratique. C’est le cas de Dominique Perrault, auteur de la bibliothèque François-Mitterrand, mais aussi de chantiers moins médiatisés comme la réhabilitation de 57 Métal – un bâtiment industriel de Claude Vasconi, construit pour Renault à Boulogne-Billancourt (1984) –, la restauration des tours Pascal, à la Défense, et, récemment, la restructuration de la Poste du Louvre.
Un domaine intemporel
Lorsqu’il a recherché avec son associée et compagne, Gaëlle Lauriot-Prévost, un nouveau lieu de vie, il est tombé sur un immense parallélépipède de 700 m2, posé comme un ovni au sommet d’une colline au cœur d’un domaine de 12 hectares, dans l’Oise. Un bâtiment signé Jean Dubuisson, architecte fonctionnaliste très fécond des Trente Glorieuses. Passée sous les radars, la villa Weil, du nom de son commanditaire, appelée aussi domaine de Frapotel, a été construite entre 1966 et 1970 par l’auteur de nombreux immeubles d’habitation, commandés notamment par André Weil, acteur éminent du logement collectif d’après-guerre. Le promoteur a l’audace de faire exécuter par l’architecte sa propre maison, qu’il imagine sur le même principe que ses autres constructions, avec les mêmes finitions.
Une architecture propre à Dubuisson
Le lieu, qui de loin fait forte impression, arbore en réalité une disposition domestique conventionnelle (conforme à l’habitat populaire lorsque l’on pousse la porte des salles de bains !), une philosophie propre au fonctionnalisme. Sur un niveau, la villa horizontale est l’exemple parfait de la grammaire de Dubuisson. De fait, l’architecte venait de rénover la villa Savoye, du Corbusier, et était encore très influencé par le pavillon Barcelona que Mies van der Rohe avait érigé avec Lilly Reich, pour l’Exposition internationale de 1929. Plusieurs maîtres inspirent donc cette villa radicale, qui regarde néanmoins dans le rétroviseur : la topographie rappelle André Le Nôtre ; le traitement en enfilade des pièces et le plan bourgeois avec vestibule, entrée et couloir sont typiquement issus des années 30.
À cela, Dubuisson applique la logistique industrielle des Trente Glorieuses : ossature en béton armé, baies vitrées pour un effet dedans-dehors, « des finitions impeccables comme le calepinage en marbre qui se poursuit de l’intérieur vers l’extérieur, les cloisons de chaque pièce qui se prolongent sur la terrasse, un écoulement des eaux calibré pour éviter les flaques et un chauffage au sol performant grâce à la collaboration de bureaux d’étude. Frapotel a été conçu comme un équipement public par un vrai professionnel », détaille Dominique Perrault. Pour habiller le tout, Dubuisson a fait appel à Pierre Guariche, qui a effectué un travail d’architecture intérieure dans un esprit industriel avec Formica et placage de bois. Si Gaëlle Lauriot-Prévost et Dominique Perrault ont acquis ce domaine pour en faire un lieu d’habitation et de travail, une partie sera néanmoins ouverte au public, « car il représente un projet et pas seulement un lieu de vie », explique la designer et architecte d’intérieur.
Un choix logique pour Dominique Perrault : « Faire à partir de l’existant est aujourd’hui essentiel. De plus, nous voulons transmettre, sensibiliser à cette architecture que beaucoup souhaitaient raser. » Ils ont ainsi légèrement rénové le bâtiment en remettant à jour le jeu de volets : « Nous sommes revenus à l’essentiel et en avons fait un objet abstrait au-delà du travail de Dubuisson. Nous avons réinstallé des volets, ôtés par l’ancienne propriétaire, et les avons peints d’une couleur ardoise pour davantage d’abstraction. Nous ne sommes pas dans la sacralisation de ce lieu, mais nous allons le restituer à partir de l’héritage de Dubuisson que nous allons interpréter et faire vivre », détaille l’homme de l’art.
C’est ainsi que la maison du gardien – conçue sur le même plan, dans les mêmes matériaux et un format plus modeste – accueille l’Association pour la conservation du domaine de Frapotel et qu’une résidence, ouverte aux architectes, paysagistes, designers et artistes, va être mise en place, à côté de visites guidées lors des Journées du patrimoine et des Journées nationales de l’architecture, « autour du lien entre architecture et industrie… », révèle l’architecte, pour qui recherche, vie domestique et chantiers sont plus que jamais intimement reliés.
> Association pour la conservation du domaine de Frapotel. 5-7, route de la Croix-Frapotel, 60700 Pontpoint. Domainedefrapotel.com