Julien Sebban est insaisissable… D’abord parce que le Parisien s’exprime dans toutes les langues. En anglais, d’abord, avec lequel il a appris à créer. En français, aussi, depuis une poignée d’années et son retour au bercail parisien et la création de son studio protéiforme, baptisé Uchronia. Ce trentenaire hyperactif aborde avec le même esprit frondeur les espaces, les histoires, les sensations, les émotions… Aussi à l’aise pour imaginer un décor que pour dessiner une chaise, on pourrait dire de lui qu’il est architecte d’intérieur et designer. La réalité est autrement plus complexe…
Bienvenue en Uchronie…
Julien Sebban parle vite et parle sûr. Avec sa dégaine de Parisien, le cheveu fou et le pantalon coloré, il aborde son parcours de créatif en invoquant le néologisme qui l’obsède depuis le début de sa vie estudiantine : l’uchronie, ou le « non-temps », deviendra en effet le fil rouge de ses études… d’architecture. La AA School of Architecture de Londres, qu’il a fréquentée, est une école non conventionnelle, qui permet à des talents singuliers, comme Julien Sebban, d’éclore. Grâce à ce parcours académique qui ne lui fixera ni cadre ni limite, le créatif qui sommeille en lui conjugue concepts et expériences. « J’ai rencontré des tonnes de spécialistes du sommeil, fait moi-même des expériences en ne dormant que trois heures par jour, vivant la nuit. L’idée était de remettre en cause les habitudes contemporaines. »
Le jeune Julien s’intéresse aussi à l’influence de la couleur sur nos modes de vie. En parallèle de ses recherches uchroniennes, il plonge dans la luminothérapie, un traitement permettant de réguler l’horloge biologique interne — on en revient encore à la notion de temps… Il utilise alors ces préceptes pour étayer le sens de ses projets. « Décorer n’est jamais anodin. Créer non plus », défend-il.
A la jonction de ces expérimentations se concrétisent ses premiers projets. Les espaces éphémères et scénographies de défilés sont les typologies qui le font vibrer. Toujours dans la logique de ne pas s’enfermer dans une temporalité et de se défaire de quelconques limites, la scène londonienne entend pour la première fois parler d’Uchronia…
Kim Kardashian, les Grillz et Créatures
Ses premiers pas dans la profession se font très vite et très intensément. Il embarque pour Los Angeles aux côtés de Dolly Cohen, la fondatrice de la marque de bijoux de dents Grillz, auprès de laquelle il vit la fast life, rencontre du beau monde (dont la fameuse Kim Kardashian) et travaille, bien entendu. Il met ensuite le cap sur le Japon avec son pote Julien Sebbag, un jumeau presque parfait sur le papier (d’identité) mais aussi dans la vie, les deux hommes cultivant la même vision libertaire de la création et le même intérêt pour les milieux alternatifs, à ceci près que l’un est chef, l’autre designer.
De retour en France, sa côte explose quand il prend les rênes d’un nouveau restaurant qui promet de faire parler de lui. Le projet est tellement chronométré que Sebbag en profite pour glisser Sebban sur la fiche de route. Le résultat se nomme Créatures, le hit de l’été 2019. L’été suivant, Uchronia, nom du collectif avec lequel il signe désormais ses projets créatifs, revampe le rooftop des Galeries Lafayette et présente deux nouveaux écrins gourmands : Oni-Saan et Coyo Taco.
Forest, un projet d’envergure
Le Moma Group ne s’y est pas trompé : seule une équipe pluridisciplinaire comme celle d’Uchronia pouvait accoucher d’un restaurant à la hauteur des ambitions du Musée d’Art Moderne de Paris. La gestation fut longue, tant par les délais imposés par une certaine pandémie que par un processus de création forcément très hiérarchisé. Mais le bébé est en pleine forme. Si Forest a déjà fait parler de lui en s’imposant comme la terrasse de l’été, la rentrée voit le clou du spectacle enfin révélé au grand public.
Après des interventions publiques plus confidentielles et des réalisations privées, Uchronia présente en effet cette rentrée son projet le plus abouti. Forest, le restaurant, a donc pris place dans une ancienne zone d’exposition du musée d’Art Moderne, en contrebas du parvis, dans un espace dépourvu de lumière naturelle. Parce qu’il cherchait avant-tout à donner du sens à sa réalisation, Julien Sebban a repris les bonnes habitudes : la recherche. Quelques semaines de documentation et de longs brainstorming avec son équipe accoucheront du concept d’une base post-apocalyptique, un lieu que l’on ne peut inscrire dans aucun espace-temps. Le temps, on en perd aussi la notion après un déjeuner dans cette douce pénombre ponctuée de lunes d’argiles…
Devinez qui signe la carte de Forest… Sebban et Sebbag, acte 2. Le duo d’amis a mis en place une synergie totale entre la cuisine et sa salle. Production 100 % française, artisanale ou faite-maison, responsable et engagée, Forest est un manifeste. L’ensemble du mobilier a été dessiné par Uchronia (comme toujours) et fabriqué dans l’Hexagone. Les objets décoratifs et vaisselles ont été façonnés par des artisans eux-aussi tricolores, qui travaillent avec des matières premières locales ou éthiques. On citera les poteries d’Emmanuelle Roule ou encore les incroyables plats en bois pétrifié de Woodmata. Le concept d’un bunker de béton s’étend jusqu’aux menus, réalisés sur-mesure en papier-pierre et à la végétation, qui donne l’illusion d’être tout simplement morte mais qui, en réalité, est bien vivante, mais stabilisée.
Julien Sebban, de l’architecture d’intérieur au design
Parce qu’il imagine l’ensemble du mobilier de ses projets, publics comme particuliers, Julien Sebban présente en septembre la première collection signée Uchronia. « Wave est un peu l’aboutissement d’un cycle. C’est vrai que je me suis beaucoup inspiré des courbes, des mouvements, tant dans mes dessins que dans mes décors. Je sens qu’une inspiration nouvelle se distille dans mes nouveaux projets, c’était donc le bon moment pour présenter une collection cohérente. »
Wave s’inscrit dans une dynamique pop seventies. Colorée et joyeuse, la collection sera présentée du 9 au 19 septembre 2021 au showroom Laparra (157, rue du Temple, 75003) puis disponible sur rendez-vous à l’atelier Uchronia. Chaque pièce sera éditée en quantité très limitée, démarche qui marquera la fin d’un premier cycle…
Et pour la suite ? Julien Sebban promet de nombreux projets hybrides, dont son premier hôtel, dévoilé très prochainement…