L’annonce officielle est tombée début mai : Nice est candidate pour devenir « Capitale européenne de la culture » en 2028. La date paraît lointaine, mais la culture est bien désormais une priorité de la mairie, qui a prévu un plan d’investissement de plus de 100 millions d’euros pour arriver à ses fins. Rénovation des musées, aménagement de nouvelles salles de spectacle, transformation des anciens abattoirs en tiers-lieu (Le 109), restauration de l’opéra, relance des studios de cinéma de la Victorine, programme d’éducation aux arts dans toutes les écoles de la ville… Depuis, l’Unesco a officiellement inscrit la Nissa la Bella sur la liste du patrimoine mondial de la Ville de Nice sous l’intitulé « Nice, la ville de la villégiature d’hiver de Riviera ».
Nice et son émergence culturelle
Et comme si la liste n’était pas assez éloquente, c’est un ex-ministre de la Culture, Jean- Jacques Aillagon, qui mènera le projet vers le succès… espéré, dans un premier temps, en 2023, lorsque le gouvernement fera son choix parmi la demi-douzaine de villes françaises en lice. En se portant candidate, Nice ne part pas d’une feuille blanche, car elle est depuis longtemps un berceau propice à l’émergence culturelle et artistique. On pourrait citer le peintre Ludovico Brea, chef de file des primitifs niçois au XVe siècle, mais ce sont surtout des artistes du XXe siècle, tels qu’Auguste Renoir, Marc Chagall, Raoul Dufy ou Henri Matisse, qui affichent leur attachement à la ville.
Matisse déclara d’ailleurs: « Quand j’ai compris que chaque matin je reverrais cette lumière, je ne pouvais croire à mon bonheur. Je décidai de ne pas quitter Nice et j’y ai demeuré pratiquement toute mon existence. » À partir de la fin des années 50, la communauté artistique s’étoffe au point de se voir attribuer le nom d’école de Nice. Certains de ses membres sont devenus des figures marquantes de l’art contemporain, à la renommée internationale, comme Yves Klein, Arman, Robert Malaval, Martial Raysse, Ben, Noël Dolla…
Nice, la créative
Leurs aspirations créatives les avaient conduits à la croisée de mouvements tels que le nouveau réalisme, Fluxus et un peu plus tard Supports / Surfaces. De fait, la scène niçoise se nourrit de l’apport de créateurs – George Brecht, George Maciunas, Robert Filliou, Niki de Saint Phalle… – aux origines et aux cultures diverses. Riche de ce contexte, en 1972, une école nationale d’art, dans la suite de l’école des Arts décoratifs, fondée en 1881, est inaugurée sur les hauteurs de la ville. Elle se déploie sur les deux hectares du domaine de la villa Arson, dont elle prend le nom et, surtout, se voit dotée d’espaces d’exposition qui permettent à certains étudiants de se distinguer.
Une identité plurielle
Une nouvelle génération de créateurs va alors continuer d’alimenter le vivier niçois : Tatiana Trouvé, Philippe Ramette, Joann Sfar, Christian Rizzo, rejoints par d’autres, comme l’architecte Marc Barani ou la designer Stéphanie Marin, dont les projets de mobilier et d’objets suscitent d’ailleurs souvent des collaborations avec des artistes (Céleste Boursier-Mougenot, Abdellah Karroum…) et des interventions dans des lieux d’exposition à travers la mise en œuvre de dispositifs scénographiques. Enfin, le programme d’un musée d’Art moderne et d’Art contemporain (Mamac), qui traînait dans les cartons, est réactivé au milieu des années 80.
Ayant pris conscience des enjeux d’une telle richesse, les instances publiques locales décident de doter la ville d’une collection à même de lui rendre gloire, et, évidemment, d’un espace pour l’accueillir. Inauguré en 1990, le Mamac abrite aujourd’hui un fonds de près de 1 400 œuvres réalisées par quelque 350 artistes, dont la plupart ont tissé des liens très étroits avec Nice. Rares sont les villes dans l’Hexagone à pouvoir se targuer de liens aussi forts et abondants avec l’art du XXe siècle. Mais cet attrait de la part des artistes n’est-il pas dû, avant tout, comme le soulignait Matisse, au cadre si singulier dont profite la ville ?
Nice et sa douceur de vivre
Une vraie douceur de vivre due à un climat unique engendré par sa situation extraordinaire entre mer et montagne. Cet encadrement par la baie des Anges et le massif du Mercantour, dont les sommets dé- passent les 1 000 mètres, offre un écosystème exceptionnel, préfigurant la fameuse Riviera méditerranéenne qui, depuis longtemps, séduit le monde entier. La promenade des Anglais en est bel et bien le témoignage, légué par la communauté britannique, nombreuse à venir en villégiature dès le milieu du XIXe siècle et qui décida de faire construire cette digue pour ses loisirs. « Il faut aussi avoir à l’esprit que, jusque dans les années 60, la haute saison à Nice courait de janvier à mars, pendant que l’Europe du Nord connaissait le froid et le ciel gris », rappelle Odile Redolfi-Payen, propriétaire de l’hôtel Windsor.
À la communauté anglo-saxonne se joint celle des Russes blancs, qui prend ses habitudes sur la Côte d’Azur après 1917, fuyant la révolution d’Octobre. Romain Gary immortalisera d’ailleurs cette expatriation dans La Promesse de l’aube. Aujourd’hui encore, la ville conserve son identité plurielle, à l’origine d’un art de vivre qui n’a pas son pareil sur la côte. N’oublions pas qu’avant 1860, le comté de Nice était rattaché au royaume de Piémont-Sardaigne et donc, n’en déplaise à certains puristes, à l’Italie.
La dualité de Nice
De fait, l’architecture porte toujours, avec beaucoup de charme, les traces de cette dualité entre l’Italie historique et la France moderne. Ainsi, des bâtisses aux enduits ocre bordant les ruelles sinueuses du Vieux-Nice côtoient des immeubles haussmanniens érigés sur des avenues rectilignes spécialement percées. Il y a aussi cette gastronomie, pas tout à fait provençale ni vraiment italienne, à base de recettes 100 % locales : pissaladière, socca, tourte de blettes, petits farcis, sans oublier l’incontournable salade… niçoise.
L’accueil de nouveaux publics
Mais laissons-là les énumérations qui pourraient vite verser dans la carte postale. Car les restaurants et autres food courts n’ont pas attendu pour se mettre au diapason des désirs culinaires du moment, en affichant des plats aux saveurs d’ailleurs, ou en s’intéressant aux vins naturels. En outre, ils ont su s’écarter du Vieux-Nice hyperbalisé, pour s’installer dans de nouveaux quartiers, comme celui de la Libération, où la gare du Sud s’est récemment muée en halle gourmande, ou aux abords de la place du Pin, que les habitués ont eu tôt fait de baptiser le « Petit Marais ».