Ces deniers mois, difficile de passer à côté du Togo et de ses bourrelets… Véritable locomotive de Ligne Roset depuis son lancement en 1973, « ce canapé a souvent été premier de la classe et ça continue ! », se réjouit Michel Roset. De fait, il s’agit de la pièce la plus vendue de l’éditeur, avec 1,5 million d’assises écoulées. Si le fauteuil pensé par Michel Ducaroy n’a jamais quitté le catalogue de la société de l’Ain, ses homologues dodus de l’autre côté des Alpes n’ont pas connu le même destin : lancé en 1970 par B&B Italia, le Camaleonda de Mario Bellini n’a été produit que pendant neuf petites années. Idem pour le Soriana d’Afra et Tobia Scarpa (Cassina), dont la production a pris fin en 1982…
Heureusement, ces assises, toutes deux auréolées d’un Compasso d’Oro, ont été récemment ressorties des cartons. « Cela faisait un petit moment que nous envisagions de rééditer le Soriana, explique Luca Fuso, CEO de Cassina. Aujourd’hui, cette pièce est une icône du design très recherchée, il suffit d’aller sur Instagram pour s’en rendre compte. »
Instagram faiseur de rois
Effectivement, il suffit de se plonger dans ce faiseur de roi qu’est Instagram pour apprécier la popularité de ses assises. « Je cherchais à mettre un sofa aux formes généreuses et rassurantes dans une version rose moderne que j’ai adapté », raconte le designer Benjamin Guedj, connu pour ses créations de décors numériques, qui a choisi d’intégrer le Camaleonda de B&B Italia dans une de ses publications à succès. Sur le Bon Coin aussi, depuis 2016, le prix de ces assises (Togo, Soriana, Maralunga, Camaleonda confondues) a plus que doublé.
« Visuellement c’est confortable, mais une fois que l’on est assis dedans, ça l’est encore plus ! »
Un retour en grâce qui amuse Vincent Grégoire de l’agence NellyRodi, qui se souvient du Togo « jaune moutarde » qui trônait chez ses parents. « Il y a quelque chose dans ce come-back qui nous fait très plaisir, confesse Michel Roset. On va peut-être enfin sortir de cette période danoise… » Le patron de Ligne Roset se félicite du « retour des années 70, la période à laquelle mon père a développé la société ». Alors simple cycle des tendances qui met au repos les enfilades scandinaves au profit du design d’une nouvelle décennie ? Oui, mais pas uniquement…
Si le confort était revenu au cœur des préoccupations bien avant l’épidémie qui a frappé la planète, « le Covid en a remis une couche. Il y a un vrai besoin d’être bien chez soi », explique Elizabeth Leriche, du bureau de style du même nom. « Visuellement, c’est confortable mais, une fois que l’on est assis dedans, ça l’est encore plus ! » Au début des seventies, les designers tirent parti des nouvelles mousses synthétiques, qui émergent durant les Trente Glorieuses. « Avant-guerre, un fauteuil se composait d’une structure en bois, avec un capitonnage en bois ou en métal pour certains sièges, et un rembourrage en fibres », explique Dominique Forest, conservatrice au département moderne et contemporain du MAD.
Les formes généreuses de ces assises
Impossible de produire les formes généreuses du Camaleonda avec cette technique… « Ces mousses sont produites en blocs que l’on peut tailler à loisir » ajoute-t-elle. Elles peuvent ainsi donner naissance aux volumes rebondis que l’on connaît. Des rondeurs qui faisaient alors écho aux préoccupations de l’époque : « L’esprit était décontracté, post-hippie, dans le conversationnel, le lâcher prise. Il fallait être vautré, envoyer valdinguer les conventions. L’approche du corps était plus décontractée et inclusive. » A quoi s’ajoute l’enthousiasme propre à la période : « Ces assises apparaissent juste avant le premier choc pétrolier. A l’époque, tout était possible.… », souligne Vincent Grégoire.
« Un nouvel imaginaire »
Une frénésie qui fait toujours du bien, cinquante ans plus tard, alors que le monde sort tant bien que mal du marasme de la pandémie : « Ces fauteuils évoquent un nouvel imaginaire, un retour de la culture de l’espace. Nous sommes tellement coincés dans cette période postmoderne, où l’on ne peut plus rien faire, plus rien manger, plus se projeter… Nous ne savons pas de quoi demain sera fait, contrairement aux années 1970. Nous avons grand besoin de références de périodes où tout était possible. » Ces assises plébiscitées par les jeunes générations sont aussi appréciées par les plus âgés « qui ont l’impression de revivre leur jeunesse, de ne plus grandir ». Bref, de satisfaire leur « quête de jeunesse éternelle ».
« Quelque chose d’identitaire dans ces assises »
Voilà les millenials et les boomers enfin réconciliés… Les propriétaires de Togo seraient donc des dépressifs en mal de moelleux ? Pas uniquement… Il faut dire qu’avec les années, ces sièges ont pris du cachet et sont entrés dans les collections des musées pour devenir un maillon marquant dans l’histoire du design. « Il y a quelque chose d’identitaire dans cet acte d’achat. On appartient à une catégorie de personnes qui ont la culture du design, dont on doit connaître les grandes signatures », souligne Elizabeth Leriche. Et Vincent Grégoire d’ajouter : « Si j’ai un pépin de santé ou professionnel, je le revends et je ne perds pas d’argent. C’est un bon investissement. » Le Togo, plus fort que le Plan Epargne Logement ?
> Canapé Togo sur Ligne roset.fr
> Fauteuil Calaméonda sur B&B italia.fr
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