Qui se cache derrière SANAA ? Deux architectes, Kazuyo Sejima et Ryue Nishiza, dotés d’une humilité fidèle à leur origine japonaise. Diplômée en 1981, Kazuyo Sejima rentre dans l’agence du grand architecte japonais Toyo Ito à la suite de ses études et y travaille jusqu’en 1987. Elle fonde la même année son propre studio (Kazuyo Sejima & Associates) et se concentre sur des projets résidentiels, tels que les maisons Platform I et II (1988 et 1990) avec lesquels elle lance sa carrière. Ces bâtiments concepts sont pensés comme des logements individuels suivant la notion de « plateformes de gares », spacieuses et aérées, par opposition aux lieux de vie traditionnels japonais.
SANAA, un projet parallèle…
L’autre moitié du binôme, Ryue Nishizawa est, lui, diplômé en 1990 de l’Université Nationale de Yokohama. Durant ses études, il rentre dans l’agence de Kazuyo Sejima, où il apprend les fondamentaux du métier. Rapidement, Sejima lui offre l’opportunité de travailler à ses côtés pour élaborer les propositions de concours internationaux.
En 1995, ils décident finalement de s’associer et de fonder ensemble l’agence SANAA (l’anagramme de Sejima And Nishizawa And Associates), parallèlement à leur job dans leurs agences respectives : Office of Ryue Nishizawa et Kazuyo Sejima & Associates, qu’ils continuent de faire vivre encore aujourd’hui. Au sujet des projets qu’elle réalise en dehors de Sanaa, Sejima confie : « La surface au sol de l’ensemble de mes projets individuels reste inférieure à celle d’un seul projet de SANAA. » Sanaa apparaît donc au départ comme un projet parallèle, mais qui ne manque pas d’ambition. Ensemble, ils construisent dans un premier temps des maisons individuelles et de petits immeubles de bureaux.
Une architecture qui détonne
En 2003, SANAA réalise un projet qui attire les regards de la planète archi : les boutiques Dior situées à Ginza et Omotesando, deux quartiers de Tokyo. Le duo est chargé de créer l’enveloppe générale des magasins, de façon à laisser le champ libre aux architectes d’intérieur comme Peter Marino. La légèreté et l’élégance de leurs façades semi-transparentes en verre et en métal les distinguent franchement des autres marques présentes dans ces quartiers commerçants.
Il faut souligner que, victime du coût de l’immobilier et du manque de surface constructibles, le Japon impose des contraintes strictes aux architectes en milieu urbain. Ce cadre stimule la créativité de Ryue Nishizawa, qui réalise en 2006 le surprenant projet de la « Maison A » à Tokyo. Une démonstration de son talent pour concevoir et optimiser des espaces sur une surface au sol réduite de seulement 8 x 4 m.
La tradition dans la modernité japonaise
Auréolé d’une renommée grandissante, SANAA élabore en 2007 les plans du New Museum de New York, dont la vocation est de valoriser un nouvel art contemporain sous l’impulsion de la curatrice Marcia Tucker. Situé dans le quartier de Bowery, au sud de Manhattan, dans un tissu urbain encore nourri de passé industriel, son architecture dialogue intensément avec son environnement. Un subtil mélange entre les formes cubiques comme empilées qui dessinent l’édifice, la transparence assumée qui laisse apparaître les éléments structurels et un choix de matériaux industriels qui créent une harmonie déstructurée mais cohérente.
Selon Ryue Nishizawa, un bâtiment se crée en fonction de besoins spécifiques et de nouveaux usages peuvent y être intégrés pour le rendre unique. L’architecte souhaite apporter du liant entre les espaces domestiques et publics, sans qu’une hiérarchie ne soit visible. Son objectif est de créer des environnements « socialement sains ».
Amoureuse de la nature, Kazuyo Sejima aime puiser dans l’environnement pour nourrir les projets qu’elle imagine, tant dans le choix des matériaux que dans les formes qu’elle utilise. Elle aussi aime établir des relations étroites entre les espaces collectifs et les zones privées, en s’efforçant d’en supprimer les barrières. Dans ses projets, elle se rapproche de l’univers pur et ascétique de la modernité japonaise et s’implique dans chaque détail de réalisation.
SANAA au panthéon de l’architecture nippone
L‘équipe de SANAA est aujourd’hui constituée de 50 personnes qui réalisent avec soin des bâtiments imposants, dont la signature est souvent constituée d’une façade en verre et de larges ouvertures vers l’extérieur. En vingt-cinq ans, Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa ont su se hisser au sommet de l’architecture. Une montée en puissance saluée par le Pritzker Prize en 2010.
Cette même année, l’agence d’architecture japonaise finalise le Rolex Learning Center de Lausanne à l’issue d’un concours qui les oppose à Zaha Hadid et Jean Nouvel. Les Japonais proposent une réponse audacieuse qui se conforme à la volonté de l’EPFL (Ecole Polytechnique Fédérale de Lausane) de provoquer des rencontres au sein du lieu. Conçu comme un plateau ouvert, dépourvu de murs de refend, la structure ondule en opposition au sol lisse sur lequel elle repose. Deux coques convexes surplombent les patios pensés comme des cours intérieures. Sur une surface avoisinant les 20 000 m2, ce bâtiment accueille une bibliothèque, un centre d’information, des espaces d’études et de lecture, ainsi qu’un café. Des espaces décloisonnés, qui laissent le regard des usagers courir le long des pentes douces des dunes structurant l’intérieur.
La Samaritaine, projet au long cours
En 2011, SANAA est choisie par LVMH et la Ville de Paris pour mener à bien le projet de rénovation de la Samaritaine, fermée depuis 2005. Un nouveau challenge pour les architectes de l’agence qui s’attaquent à un joyau architectural parisien de la fin du XIXe.
Réouvert en juin 2021, l’emblématique magasin a subi d’importants travaux de restauration. Un projet fastidieux car il a fait l’objet de nombreux recours administratifs au sujet de sa façade jugée trop contemporaine pour la perspective de la rue de Rivoli. SANAA a réussi à imposer une façade de verre ondulante dans laquelle se mirent les bâtiments alentours. Outre le grand magasin, le projet comprend aussi un hôtel de prestige (Le Cheval Blanc qui ouvrira ses portes en 2021), des logements, des bureaux et une crèche. Attentif au respect de l’identité et l’histoire du patrimoine, le projet de la Samaritaine a été forgé pour symboliser la continuité entre l’histoire des Parisiens et le monde moderne.
Entretemps, Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa livrent à l’hiver 2012 le vaste projet du Louvre-Lens. 28 000 m2 de surfaces d’exposition bâties sur un ancien carreau de mines de charbon. Fluide et plutôt discret, le bâtiment veille au respect du site et de la morphologie du terrain. Une nouvelle fois, SANAA décide de bouleverser les codes de la muséographie, avec l’immense salle baigné de lumière naturelle retraçant 6 000 ans d’histoire. Une expérience singulière de l’architecture qui incite le visiteur à déambuler entre intérieur et extérieur.
Dématérialiser les archétypes de l’architecture traditionnelle japonaise
SANAA incarne la nouvelle génération d’architectes japonais par le mélange d’inventivité et de minimalisme qu’ils injectent dans leurs projets. Ils s’interdisent ainsi l’utilisation d’éléments structurels lourds afin d’optimiser les ouvertures et les échanges entre usagers. « Nous cherchons à produire une transition douce avec l’environnement, par la transparence, la réflexion ou l’ouverture directe sur l’extérieur. Qu’on ne sache pas où le paysage s’arrête et où le bâtiment commence », plaident de concert Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa.