Dans un Paris pas toujours réputé pour sa bienveillance, Vincent Darré fait figure de brise-glace. A la Galerie du Passage, où il présente sa première collection de mobilier, le décorateur-designer, en veste en velours grenat, anime l’espace avec un naturel consommé. Voix grave, débit rapide, il converse, fait descendre son galeriste de l’étage, esquisse un pas de danse chanté pour amuser un enfant, récupère une amie tambourinant derrière la vitre et, se faisant, présente scrupuleusement les uns aux autres. Résultat, les conversations rebondissent qu’il soit occupé ou pas.
Une tête de cheval tatouée de volutes noires
Il faut dire que son « Insomniac Collection » appelle le commentaire. Ce défilé de meubles ponctué d’accessoires n’est pas une énième collection née pendant le confinement mais le résultat de deux ans de travail. Les étagères Tabou en bois et plâtre sont surmontées par des jardinières en profil de statue de l’île de Pâques couronnées de végétation. Au milieu de la grande pièce où se tient l’exposition, le lampadaire Mirage est une colonne de plâtre, surmontée d’un abat-jour de raphia aux contours dansants, gansés de feuille d’or. À hauteur du regard, le lustre Vertigo se résumerait bien à deux cornettes de plâtre si elles ne semblaient pas faire de la balançoire sur un anneau d’or mat. Sur les murs, l’applique Pégase en céramique, figurant une tête de cheval blanc tatoué de volutes noires, fait sensation même éteinte.
La lampe Deux Visages évoque, en plus léger, les céramiques siciliennes de Caltagirone. Tout près, s’affichent en face-à-face au mur, les deux profils stylisés du duo de miroirs Narcisse aux contours de bois doré. On ne voit pas tout de suite que la table basse Hédoniste et son plateau rectangulaire en marbre Brown Forest repose sur quatre serpents de bronze stylisés.
Vincent Darré convoque l’histoire des arts décoratifs
Mais le morceau de roi, c’est le buffet Buffalo, parfaitement « bufflotiforme ». « On dirait un meuble ancien », remarque une visiteuse. Il n’y a pourtant aucune trace de fausse patine. Surtout pas ! Ce que la jeune femme souligne du doigt, ce sont les détails d’exécution, ces fins reliefs en baguette de bois situés autour des tiroirs. Cela convoque tout de suite l’histoire des arts décoratifs. Afin de compléter ces pièces de choix, courent de-ci de-là des bougeoirs en bronze animalomorphes, de l’autruche à la souris.
Made in Italy…
Pour cette nouvelle collection, tout a été fabriqué en Italie, dans les ateliers romains de Pietroarco Franchetti qui produira sur commande des pièces livrées estampillées. « L’Insomniac Collection » est d’abord présentée à Paris, à la Galerie du Passage de Pierre Passebon, avant d’être exposée en septembre à Rome, dans la galerie du « copain avec qui est née l’idée », dixit Vincent Darré. Ledit copain, fondateur de la galerie Magazzino d’Arte Moderna, expose généralement de l’art moderne et jamais de design. C’est une première pour lui. L’Arche de Darré va donc voyager, « comme un cirque » plaisante le créateur, préférant expliquer le résultat que les heures de labeur nécessaires.
« Tout le monde me prenait pour un fou »
Darré aime le goût prononcé du galeriste Pierre Passebon pour le libre mélange d’objets et de meubles : « Pierre n’est pas conventionnel, jamais dans le goût du moment. Il fait ce qui l’amuse. Passebon, c’est du grand goût qui ne se contente pas de mettre du Jean Prouvé et toute la clique. Moi, au départ, tout le monde me prenait pour un fou avec mes objets surréalistes. Maintenant, c’est devenu quelque chose de normal. Qu’on se rappelle que derrière un groupe en rupture comme Memphis, il y avait une connaissance, une culture ; leurs pièces n’arrivaient pas là par hasard. C’est comme Richard Rodgers et Renzo Piano avec Beaubourg. Ce n’est pas de la naïveté. Tout part d’une grande recherche pour arriver à quelque chose de délirant. »
> « Insomniac Collection » de Vincent Darré. A la Galerie du Passage,A la Galerie du Passage, 20, galerie Véro-Dodat, 75001, Paris, jusqu’au 10 juillet.