Quelle facette d’Alessi voulez-vous montrer à l’occasion de ce centième anniversaire ?
Alberto Alessi : Nous avons cherché à souligner tout au long de l’année les valeurs qui nous ont guidé jusque-là… avant que d’autres n’arrivent dans le futur, car c’est aussi ce qui fait aussi notre marque de fabrique : l’ouverture d’esprit. Parmi ces valeurs que nous égrènerons chaque mois de 2021, on retrouve l’art, le paradoxe, l’hybridation, l’ironie, la transgression ou la poésie… C’est grâce à elles que nous sommes allés vers des projets très avant-gardistes. Par exemple, le Merdolino, qui ressemble à une jolie plante grasse, dissimule une brosse de toilettes…
Pourquoi avoir choisi de célébrer ce centenaire avec ces douze valeurs égrenées chaque mois ?
Parce qu’Alessi est ma fabrique des rêves… Parce qu’on ne s’adresse pas tant aux besoins des gens qu’à leur imaginaire… Et aussi parce que c’est la fabrique de MES propres rêves. Je ne me suis jamais reconnu dans le modèle industriel où ce qui compte, c’est de produire le plus possible pour gagner le plus d’argent possible. Je me suis toujours plus intéressé à la qualité. Ce qui m’intéresse, si je peux me permettre, c’est de contribuer à la croissance culturelle de la société et à la culture de l’objet.
« Matérialiser le champ des possibles »
Voilà pourquoi ce travail pédagogique vous semblait important ?
Alberto Alessi : Oui, je voulais faire connaître cette façon un peu spéciale d’envisager l’industrie, en la divisant en 12 valeurs qui ont toujours été présentes chez Alessi. L’art, la poésie, l’équilibre entre industriel et artisanal, la transgression… Ces valeurs ne sont pas présentes chez beaucoup de nos concurrents. Je voulais matérialiser le champs des possibles que nous avons ouvert et qui n’existe pas dans la grande série… Après cette année de commémoration, le public comprendra mieux qui est Alessi.
Cela signifie-t-il que les erreurs et les échecs du passé font aussi partie de ce que vous êtes aujourd’hui ?
Oui, précisément ! Cette zone que j’appelle « borderline » est très précieuse car elle peut mener aux fiascos et ceux-ci sont très importants car ils nous permettent de progresser…
Sottsass à l’honneur du 100e anniversaire d’Alessi
La première collection que dévoilez ce 1er avril 2021 se penche sur « l’artisanat industriel »…
Alberto Alessi : Depuis toujours, Alessi travaille essentiellement avec des machines. Cependant, à la différence d’une industrie traditionnelle de grande série, nous les utilisons avec une mentalité « artisanale ». Par exemple, on ne trouve pas chez nous de ligne de montage automatisée. Cette caractéristique nous permet de nous adapter aux suggestions, voire aux provocations des designers.
Le meilleur exemple, c’est la collection « Twergi, dessinée entre autres par Ettore Sottsass, que vous allez remettre à l’honneur…
Pour commencer, nous allons en effet dépoussiérer la collection « Twergi » [elfe en patois lombard, NDLR], que nous avions lancée à la fin des années 80. Nous nous sommes appuyés sur une très ancienne tradition de travail artisanal du bois puis du métal dans la vallée de Strona, qui descend sur le lac d’Orta. Nous avons racheté dans le courant des années 80 la plus ancienne de ces manufactures et avons fait travailler quelques designers milanais, notamment Ettore Sottsass mais aussi Andrea Branzi et Alessandro Mendini. Cette année, nous réveillons la mémoire de « Twergi » en rééditant avec des nouveaux coloris une série d’objets de Sottsass.
Est-ce la marque de fabrique d’Alessi que de faire travailler les designers les plus pointus avec des savoir-faire très locaux ?
Alberto Alessi : La fabrication de petits objets pour la table, en métal ou en bois, est typique de la région d’Omegna, où nous sommes implantés. Alessi se raccroche à cette tradition depuis ses débuts ; mon grand-père est né ici. Néanmoins, nous avons décidé d’ouvrir nos portes à la création d’avant-garde, d’abord italienne puis internationale. Déjà dans les années 30, mon père avait dessiné le service à thé « Bombé », toujours en production, dans cet esprit. Dans les années 50, il a commencé à faire appel à quelques designers et, dans les années 70, j’ai repris sa façon de travailler lorsque je me suis investi dans la direction de l’entreprise. J’ai considérablement élargi le nombre de designers et architectes avec lesquels nous collaborons, mais aussi amélioré la qualité pour devenir un acteur à part entière du design italien. Alessi est aujourd’hui un laboratoire de recherche qui joue le rôle de médiateur entre les besoins du grand public et le travail des meilleurs designers contemporains. Cette interface est typique du mode de fonctionnement des éditeurs italiens.
Vous recevez toujours beaucoup de sollicitations de jeunes designers ?
Oui, je reçois 300 à 400 propositions de collaborations par an, souvent très réussies. J’avoue que c’est mon assistante qui fait la présélection et nous en retenons environ 1 pour 1000…
Des milliers de designers à travers le monde
Comment choisissez-vous mes designers avec qui vous collaborez ?
Alberto Alessi : Je juge d’abord avec des croquis avant de passer à l’étape décisive de la rencontre physique. Pour choisir un designer, il faut que je lui parle, que l’on se regarde dans les yeux, que l’on échange nos point de vue face à face. Pour moi, c’est fondamental. Ma façon de travailler a beaucoup évolué dans les années 70. A partir de cette époque, je me suis fié aux suggestions des maestros qui travaillaient avec moi… Par exemple, Alessandro Mendini m’a très souvent donné les noms de jeunes designers que je devais rencontrer. Au mitan des années 80, il me disait ainsi : « Il y a ce jeune designer français qui est presque un génie. » C’est lui qui m’a présenté Philippe Starck. Et puis ma propre curiosité est primordiale. Mon rôle est de suivre l’évolution du monde du design et de ses nouveaux talents. En ce moment, cependant, je ne travaille pas trop avec des jeunes. Plutôt avec Giulio Iachetti, qui dessine beaucoup de choses pour nous ; Michele de Lucchi, qui est très actif en ce moment, notamment dans la conception de la nouvelle usine Alessi ; et l’architecte anglais David Chipperfield. J’essaie de mieux comprendre la nouvelle génération de designers mais c’est plus complexe. Quand j’ai démarré, il y avait peut-être 20 ou 30 designers en Italie ; aujourd’hui, ils sont des milliers, et dans le monde entier. Qui sera le nouveau Philippe Starck ? Ce n’est pas facile à dire…
> La première pop-up collection est disponible dans les points de vente Alessi.