Comment Pascal Cuisinier réhabilite les designers français d’après-guerre

Audacieuse, confortable, ergonomique, bien dessinée… La création française d’après-guerre fut portée par des designers restés longtemps méconnus du grand public. Depuis dix ans, le galeriste bataille pour sortir de l’ombre ces créateurs géniaux en enchaînant les expositions monographiques ou thématiques. Portrait.

Pascal Cuisinier est un homme patient, très patient… Il peut attendre plusieurs années avant de trouver LA pièce qui va parachever une collection. Et ainsi déboucher sur une exposition monographique ou thématique. Spécialiste du mobilier français moderniste, le galeriste fête les 10 ans de son installation dans le quartier des antiquaires, rue de Seine, à Saint-Germain-des-Prés.

Pascal Cuisinier, des années 1930 à l’après-guerre

Une galerie tout en longueur, où cet architecte et philosophe de formation présente le fruit de ses investigations. Après s’être fait la main quelque temps aux puces de Saint-Ouen, il a consacré ses premières années aux arts décoratifs français des années 30. Puis il s’est spécialisé dans la période de l’après-guerre et, plus précisément, la décennie 1950.

Un pan de l’histoire du design dont la plupart des galeristes défendent les créateurs stars : Charlotte Perriand, Jean Prouvé, Pierre Jeanneret… Pascal Cuisinier, lui, préfère ressortir de l’oubli ceux que « cachent » ces figures tutélaires. Ces « jeunes loups », comme on les nommait alors, qui ont révolutionné l’aménagement des intérieurs français, mais qui sont toujours restés dans l’ombre : Pierre Guariche, Joseph-André Motte, Alain Richard, René-Jean Caillette, Michel Mortier…

« J’ai besoin des pièces les plus rares, car ce sont les plus intéressantes »

Durant la reconstruction, ils proposent un mobilier fabriqué en série, qui répond aux critères de la société de consommation naissante, avec des objets beaux et simples, utilisant des matériaux nouveaux. Fauteuil en forme de soucoupe en métal tendue de tissu, table basse lumineuse, bibliothèque modulaire…

« Chez eux, rien n’est gratuit. Tout a du sens. Tout découle de la fonctionnalité. On la retrouve dans la forme et dans la matière de leurs meubles et objets. Ce sont des gens qui sortent de grandes écoles de création, comme l’École nationale supérieure des arts décoratifs ou celle des arts appliqués à l’industrie, et qui savent dessiner », détaille Pascal Cuisinier.

De gauche à droite :  Exposition « Paris-Basel : French Design Masterpieces » (2020) / Lors de l’édition 2019 du salon Design Miami/Basel, à Bâle, Pascal Cuisinier a mis en lumière sur son stand le très célèbre fauteuil Soleil, de Janine Abraham et Dirk Jan Rol (1958), ainsi que la lampe G24 (1953) et l’applique G12 (1951) de Pierre Guariche.
De gauche à droite :  Exposition « Paris-Basel : French Design Masterpieces » (2020) / Lors de l’édition 2019 du salon Design Miami/Basel, à Bâle, Pascal Cuisinier a mis en lumière sur son stand le très célèbre fauteuil Soleil, de Janine Abraham et Dirk Jan Rol (1958), ainsi que la lampe G24 (1953) et l’applique G12 (1951) de Pierre Guariche. galerie-pascal-cuisinier /HERVÉ LEWANDOWSKI

« Je ne montre pas ce qui a été produit en masse »

Sur cette base de mobilier, qu’il passe des années à chiner et à accumuler, il propose régulièrement des expositions, monographiques ou thématiques. Pour ce faire, son tri passe par un travail de documentation d’une très grande précision, qui se poursuit par l’édition de catalogues papier (ou en téléchargement gratuit). « Je ne monte des expositions qu’à partir du moment où la majorité des éléments sont disponibles à moins de cinq exemplaires. Je ne montre pas ce qui a été produit en masse. J’ai besoin des pièces les plus rares, car ce sont les plus intéressantes », estime le galeriste.

Retrouver l’esprit de l’époque avec un regard contemporain

Une fois celles-ci acquises se pose la question de leur rénovation, car elles ont par définition déjà vécu. « J’essaie de trouver un compromis entre la lettre et l’esprit ; je refais les mousses, les ressorts et j’utilise des tissus contemporains, car je ne vais pas chiner des tissus anciens qui n’ont pas la résistance requise pour un usage actuel. Autrefois, je me laissais aller à prendre des risques dans les couleurs et les motifs. Désormais, je choisis des tissus qui soulignent au mieux la ligne de l’objet. En un mot, j’essaie de retrouver l’esprit de l’époque avec un regard contemporain », explique-t-il.

À l’affût de pièces rares

« L’esprit de l’après-guerre se perçoit dans la sobriété, l’élégance et les proportions ; un besoin esthétique et fonctionnel que l’on retrouve aujourd’hui, porté par une compacité, mais aussi une générosité dans les volumes. » En sortant ces designers de l’oubli, Pascal Cuisinier espère surtout susciter l’intérêt des musées français pour la jeune garde des fifties.

Robert Mathieu mise à l’honneur par le galeriste

Après Pierre Guariche, le galeriste montrera – dès que ce sera possible – le travail de Robert Mathieu, à l’occasion du centenaire de sa naissance. Une exposition chronologique de 100 luminaires, organisée en deux temps : au printemps, la période couvrant de 1950 à 1955, et, à l’automne, de 1955 à 1975.

« Ce qui est remarquable chez Robert Mathieu, c’est sa créativité, car il a probablement inventé plus de 150 modèles totalement  différents. C’est unique en France, mais il se distingue aussi par la très grande qualité d’exécution de ses pièces, qui sont encore aujourd’hui en parfait état », conclut Pascal Cuisinier, confortablement installé dans sa galerie, qui voit passer trentenaires passionnés de vintage et collectionneurs plus âgés, tous à l’affût de pièces rares.

« 1950-1955 » (jusqu’au 29 mai 2021) et « 1955-1975 » (du 7 octobre au 4 décembre 2021).
> À la Galerie Pascal Cuisinier. 13, rue de Seine, 75006 Paris. Tél. : 01 43 54 34 61. Galeriepascalcuisinier.com

Pascal Cuisinier a ouvert sa galerie rue de Seine, à Paris (VIe), après avoir fait ses premières armes aux puces de Saint-Ouen.  La dernière exposition consacrée à Pierre Guariche, en ce début d’année.
Pascal Cuisinier a ouvert sa galerie rue de Seine, à Paris (VIe), après avoir fait ses premières armes aux puces de Saint-Ouen.  La dernière exposition consacrée à Pierre Guariche, en ce début d’année. Hervé Lewandowski
Vue de l’exposition consacrée à l’UAM (Union des artistes modernes) à la Galerie Pascal Cuisinier en 2018.
Vue de l’exposition consacrée à l’UAM (Union des artistes modernes) à la Galerie Pascal Cuisinier en 2018. © XAVIER BEJOT
Mise en scène des pièces de René-Jean Caillette à la galerie Pascal Cuisinier (2016).
Mise en scène des pièces de René-Jean Caillette à la galerie Pascal Cuisinier (2016). Courtesy Galerie Pascal Cuisinier