Il fut un temps où le Pritzker Prize récompensait des starchitectes en costume noir, auteurs de tours étincelantes et de formes défant la gravité en matériaux clinquants. En décernant le prix 2021, considéré comme le Nobel de l’architecture, au duo français Lacaton & Vassal, l’institution américaine entérine un changement de paradigme dans cette discipline. Face aux défis du siècle, l’architecture doit se faire plus modeste, plus respectueuse, plus économe…
Composé en grande partie d’anciens lauréats et présidé par le Chilien Alejandro Aravena (Pritzker Prize 2016), le jury l’a exprimé en des termes on ne peut plus clairs en affirmant que l’architecture « peut être humble mais toujours réfléchie […], un dialogue entre l’ancien et le nouveau qui élargit le champ de la discipline ».
Economie de moyens et lutte contre la chaleur
Après s’être rencontrés durant leurs études à Bordeaux à la fin des années 1970, Anne Lacaton reste dans la ville, où elle travaille au centre de recherche Arc en rêve tandis que Jean-Philippe Vassal part au Niger travailler à la planification urbaine de Niamey (Niger), de 1980 à 1985. Une expatriation qui lui permet de se sensibiliser à l’économie de moyens appliquée à la lutte contre la chaleur.
Rejoint à Niamey par sa consœur, ils élaborent à quatre mains ce qui restera comme une œuvre fondatrice de leur association, une maison de paille qui tire parti des savoir-faire et matériaux locaux. De retour à Paris, ils fondent leur studio en 1987. Dès lors, ils commencent à combattre la réduction de la superficie des logements, la « surisolation », la multiplication des normes… Des chevaux de bataille qui sont restés les leurs en 2021.
La rénovation moins gourmande que la reconstruction
En France, leur rénovation exemplaire du Palais de Tokyo en deux phases (2002 et 2012) leur a attiré une reconnaissance publique. Il faut dire qu’elle constitue une démonstration éclatante de leurs préceptes : Lacaton & Vassal préfèrent réhabiliter que reconstruire, sauver ce qui peut l’être plutôt que de détruire. Dans ce bâtiment remarquable, ils ont ainsi préservé la structure industrielle et ménagé des puits de lumière, faisant de cet ensemble inauguré en 1937 un vrai musée du XXIe siècle.
Pour eux, la dimension écologique de l’architecture passe par la sauvegarde de ce qui a été construit, plutôt que par l’édification de nouveaux bâtiments « exemplaires ». Soucieux de préserver les ressources naturelles, ils veillent également à contenir le budget de leurs projets. Pour le FRAC Nord-Pas-de-Calais (2013), ils ont ainsi décidé de sauvegarder la halle industrielle présente sur le site et de lui en adjoindre une seconde, comme une jumelle séparée par une rue.
Lacaton & Vassal et le jardin d’hiver
Pour leur travail de réhabilitation de la cité Grand Parc à Bordeaux, ils ont reçu en 2020 le Prix Mies van der Rohe, conjointement avec Frédéric Druot et Christophe Hutin, le commissaire du Pavillon français à la Biennale de Venise 2021. En dotant chaque logement d’un jardin d’hiver, ils sont parvenus à les rendre plus vivables, plus lumineux, mieux isolés, sans pour autant se lancer dans des travaux pharaoniques, voire une destruction toujours traumatisante pour les habitants.
Après Christian de Portzamparc en 1994 et Jean Nouvel en 2008, le duo formé d’Anne Lacaton (1955-) et Jean-Philippe Vassal (1954-) est le troisième studio français récompensé par la plus prestigieuse des récompenses architecturales.
Basé à Montreuil, leur studio travaille actuellement à la mue de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris. A nos confrères du Monde, ils ont déclaré : « Ce prix montre que ce pour quoi nous nous sommes battus pendant de longues années, d’autres le partagent. » Eux que l’on a pu qualifier d’idéalistes, se retrouvent aujourd’hui honorés pour leur clairvoyance.