L’exposition « Cambio » revient sur notre rapport à la nature à travers l’analyse du processus d’extraction, de production et de distribution du bois de construction. Pourquoi avoir choisi ce matériau ?
Formafantasma : Notre dernière exposition, « Ore Streams », abordait le thème du recyclage des déchets électroniques. Pour celle montrée à la Serpentine Sackler, nous voulions travailler une matière plus accessible, avec moins d’interlocuteurs industriels. En nous promenant autour de la galerie, située en plein cœur de Hyde Park, à Londres, l’idée nous est venue de traiter de la forêt comme bien de consommation. Concentrer nos recherches autour du bois de construction a alors sonné comme une évidence.
Le titre de l’exposition, « Cambio », évoque « l’échange » en italien ou « le changement » en espagnol. Un cri d’alarme pour réveiller les consciences, à l’image de votre vidéo sur la forêt du val di Fiemme, en Italie ?
C’est exactement ce dont il s’agit. Après le passage de la tempête Vaia, en 2018, plus de 20 millions d’arbres ont été déracinés dans cette forêt et ses alentours. Il était impératif d’en enlever le plus possible avant qu’ils n’étouffent les sols et ne contaminent le reste de la forêt. Le bois que nous avons récupéré a servi à construire des stands et des accessoires, qui ont ensuite été recyclés d’une exposition à l’autre.
Les meubles en bois
La sculpture Bekväm se présente comme un totem composé de sept tabourets-escabeaux de bois, inspirés du modèle éponyme vendu chez IKEA… Le design abordable est-il forcément coupable ?
Nous n’avons rien contre IKEA, qui s’intéresse sérieusement aux questions liées au développement durable. Néanmoins, son modèle économique repose sur un système complètement dépassé, où il est plus rentable de remplacer un objet que de le réparer. Le prix d’un meuble ne devrait pas être uniquement corrélé à son coût de production, mais prendre aussi en compte le cycle naturel du matériau dans son ensemble.
Comment peut-on calculer la durée de vie optimale d’un meuble en bois ?
Pour être cohérent, il faudrait que les objets soient remplacés moins vite que le temps nécessaire à la pousse de l’arbre dont ils sont issus. Sinon les ressources finiront par s’épuiser. Soit, dans le cas de Bekväm (chacune des sept versions du tabouret-escabeau qui forment la sculpture est réalisée dans une essence différente, NDLR), soixante ans pour la version en noyer et cent cinquante ans pour celle en chêne !
Le « geo-design » selon Formafantasma
« Cambio » peut aussi se traduire par cambium, un tissu de cellules situé entre le bois et l’écorce d’un arbre et lui permet de se développer. Qu’est-ce que cette image représente pour vous ?
La couche de cambium aide l’arbre à analyser son environnement. Elle a une fonction essentielle pour faire face aux changements comme le réchauffement climatique. La déforestation détruit cet outil de communication et souligne notre comportement abusif envers la nature. Cette relation est fondée sur des siècles de domination de la pensée occidentale, où l’homme tente de dompter un élément incontrôlable pour assouvir ses désirs. Comme si la nature et l’homme étaient deux entités différentes, vivant dans deux milieux séparés. Il devient urgent de revoir notre vision anthropocentrique du monde.
D’après vous, le « localisme » devrait-il être une priorité ?
C’est une question économique autant que politique et philosophique. Est-on prêt à couper du bois tropical précieux pour favoriser une consommation locale, ou faut-il utiliser une espèce moins rare et plus facile à entretenir mais qui pousse plus loin ? Notre discipline, le design, produit beaucoup de déchets. « Cambio » interroge les créatifs : sont-ils prêts à changer leur manière de travailler et à se poser des questions difficiles qui n’induisent pas de réponses toutes faites ?
Vous avez collaboré avec de grands groupes de luxe comme Fendi, Max Mara, Hermès, Lexus ou encore Flos. Peut-on concilier des convictions écologiques avec une activité commerciale au sein d’industries relativement polluantes ?
C’est le dilemme du designer. Nos projets peuvent parfois paraître incompatibles avec nos valeurs, mais nous ne sommes pas des chercheurs universitaires. Formafantasma est un studio de design, notre travail consiste à répondre aux demandes de clients. Pour pouvoir changer les choses de manière durable, c’est le milieu entier qui doit accepter d’évoluer, sans pour autant perdre sa capacité à créer et à s’émerveiller.
En matière d’environnement, les designers sont-ils en train de reprendre le flambeau des politiques ?
Notre rôle est de dresser un état des lieux le plus sincère possible pour aider la société à s’adapter à un monde en constante évolution. Je dirais que c’est un rôle de citoyen engagé, plutôt que celui d’une figure politique. Ensuite, à nous de proposer des solutions qui n’engendrent pas (trop) de nouveaux problèmes…