De La Beauté pour tous, le livre-manifeste de la Suédoise Ellen Key sur le lifestyle scandinave (1899), jusqu’aux créations de la nouvelle génération de designers et de marques en passant par l’âge d’or du modernisme, la formule « Design scandinave » est un puissant marqueur des valeurs de démocratie et de respect de l’environnement sur lesquelles les sociétés nordiques se sont construites. C’est donc en toute légitimité que l’édition 2020 des 3daysofdesign – une des rares manifestations de 2020 à avoir offert une vitrine aux nouveautés – avait choisi de mettre en avant l’économie circulaire.
Les marques vintage du design scandinave à la relance
Pour Signe Byrdal Terenziani, fondatrice et directrice de l’événement, c’est une évidence : « La qualité et l’artisanat ont toujours fait partie de l’ADN du design danois. Fabriquer des produits durables, physiquement et esthétiquement, signifie qu’ils pourront se transmettre de génération en génération. Tout au long du XXe siècle, le design danois s’est articulé autour du minimalisme, de la fonctionnalité et de l’utilisation de matériaux locaux. Il suffit de regarder les créations de Kaare Klint, Hans Wegner, Arne Jacobsen ou Poul Kjærholm, dont la plupart des objets sont toujours en production actuellement, pour se convaincre qu’intemporalité est synonyme de durabilité. » D’où d’ailleurs la relance non seulement de produits, mais aussi de marques historiques qui avaient disparu, à l’instar de Lyfa ou Sibast Furniture.
Apparemment paradoxale, l’intemporalité du design scandinave est bien un booster de créativité, puisque l’innovation, technique comme stylistique, est plus que jamais convoquée pour répondre aux enjeux écologiques. « Il y a au Danemark une longue tradition d’amélioration de modèles existants plutôt qu’une incessante production de nouveautés », poursuit Signe Byrdal Terenziani. Difficile de résister à la tentation de souligner que dans le terme marketing « evergreen » (qui définit un produit indémodable et souvent un best-seller), il y a « green »… Conséquence ? La vague de rééditions qui a accompagné la redécouverte du design scandinave depuis une large décennie ne se conçoit plus dorénavant sans le recours à des matériaux éco-responsables.
Rééditions vertes
Pour preuve, l’éditeur danois FDB Møbler, fondé sur un modèle de coopérative pour mieux démocratiser le design, vient d’intégrer à son catalogue la collection de contenants alimentaires « Ildpot », en céramique, passant du réfrigérateur au four (une alternative au plastique jetable), conçue par Grethe Meyer, en 1976. Il a aussi dévoilé lors des 3daysofdesign une version éco-actualisée de la chaise Skal (1949) de l’architecte Børge Mogensen (1914-1972). C’est la designer Sarah Moutouh, sa petite-fille, qui l’a dotée de pieds métalliques et d’une coque en matériau composite à base de plastique et de bois recyclé. Le modèle historique, toujours en production, était intégralement en bois. L’objectif de FDB Møbler, qui n’utilise d’ores et déjà que des bois certifiés FSC et des textiles OEKO-TEX est, à l’horizon 2025, de pouvoir arborer le Nordic Swan Ecolabel, soit la certification écologique la plus ambitieuse du marché.
Repensée l’an dernier par l’agence Snøhetta pour le fabricant norvégien Nordic Comfort Products, la chaise S-1500 est elle aussi un parfait exemple d’économie circulaire : il s’agit du modèle R-48, dessiné dans les années 60 par Bendt Winge, désormais proposé avec une coque en plastique provenant du recyclage de filets et cordages de l’industrie halieutique norvégienne.
Les matériaux issus du recyclage offrent une aura verte bien réelle non seulement aux rééditions, mais aussi aux nouveautés. IKEA propose ainsi des façades de meubles de cuisine en bois et PET recyclés (modèle Kungsbacka) et une chaise Odger en bois durable et polypropylène recyclé, signée Form Us With Love. Le géant du meuble suédois a vu, l’an dernier pour la première fois, son empreinte carbone décroître, tout en maintenant la progression de son chiffre d’affaires et vise la neutralité carbone en 2030.
Matières premières et conditionnement
« La nouvelle génération de designers danois est profondément concernée par l’écologie et l’économie circulaire, affirme Signe Byrdal Terenziani. À l’occasion des 3daysofdesign, Mater présentait d’ailleurs une collection fabriquée à partir de résidus industriels : des drêches, des chutes de briques Lego, du marc de café, du plastique repêché dans les océans… Et Kvadrat a développé à travers l’entité Really des panneaux très résistants en textile recyclé à destination des designers et des architectes, un projet très excitant. »
À noter : le conditionnement à plat, qui est au cœur du modèle économique d’IKEA, fait des émules. C’est le cas du danois Takt, qui a vu le jour en 2019 et dont tous les produits, 100 % écocertifiés, signés Cecilie Manz, Sam Hecht et Kim Colin, Pearson Lloyd ou Thomas Bentzen, sont livrés en flat pack pour minimiser les émissions de CO2 dues au transport. Enfin, utiliser le strict minimum de matière première reste un vrai défi , relevé tant par le studio suisse Panter & Tourron – qui a imaginé Signal, une lampe en céramique se passant de réflecteur, pour Raawii – que par le studio Form Us With Love, qui a développé une ligne de savons en poudre à diluer, conditionnés en sachet de papier. Pas de doute, le design scandinave reste, stylistiquement et éthiquement, précurseur.