« C’est un port, l’un des plus beaux du bord des eaux. Il est illustre sur tous les parallèles. À tout instant du jour et de la nuit, des bateaux labourent pour lui au plus loin des mers. Il est l’un des grands seigneurs du large. Phare français, il balaye de sa lumière les cinq parties de la Terre. Il s’appelle le port de Marseille. » Albert Londres, dans Marseille, porte du Sud, Éditions de France, 1927, pour l’édition originale.
L’été dernier, en juillet, le Mucem inaugurait une exposition sur le thème de l’île. À cette occasion, le musée signé Rudy Ricciotti embarquait les visiteurs pour une balade en mer vers le château d’If, avant d’offrir, sur son toit-terrasse, un apéro qui devait s’achever tard dans la nuit avec un DJ set de Did Virgo. Sur un autre toit-terrasse, celui de la Friche la Belle de Mai, d’autres partageaient un éblouissant coucher de soleil avec vue sur le port de l’Estaque ou bien s’allongeaient pour une séance de ciné sous les étoiles. En août, le collectif Marseille Is Amazing investissait la place Lorette, en plein cœur du quartier du Panier, pour des Boozy Brunch et des apéros-guinguette, tandis que le drôle de festival Marseille Octopus Worldwide battait son plein : art, musique et gastronomie, en célébrant… le poulpe !
« Work hard, play hard »
Il se passe toujours quelque chose à Marseille. Pas seulement dans les bars du Vieux-Port autour d’une belote et d’un pastis, comme voudrait nous le faire croire la légende, mais aux quatre coins d’une ville dispersée et souvent dans des lieux improbables. On fait beaucoup la fête, dans cette cité cramponnée à son port et bousculée par les cavalcades du mistral, mais on y travaille dur aussi. « Work hard, play hard », la devise des Anglo-Saxons, colle assez bien à la peau d’un hub méditerranéen qui attire une nouvelle vague d’entrepreneurs, de patrons et d’acteurs culturels.
Tous les amoureux de cette terre d’accueil attendent impatiemment que sa belle énergie puisse une fois de plus se libérer. Fondée par les Grecs en 600 av. J-C, Massalia n’a cessé de muter. La plus ancienne cité de France ne fut qu’un vaste chantier, sans cesse démolie et reconstruite pour absorber les flux migratoires dont elle s’est nourrie. Ce grand port voué depuis l’origine au commerce a vu passer sur ses quais les Ottomans, les Aragonais, les Catalans, les Libanais…
Bain de créativité
Au XIXe siècle, les ateliers de réparation navale, les savonneries et les huileries qui faisaient sa fortune se nourrissaient des savoir-faire des Piémontais et des Napolitains. Ces populations se sont si bien intégrées qu’aujourd’hui encore un Marseillais sur trois porte un nom italien ! Elles y côtoient désormais de nouvelles intelligences : Ora-ïto, Isabelle Crampes, Marion Mailaender, Éric Touchaleaume, Alexandre Mazzia, Nicolas Veidig-Favarel, Dominique Bluzet, Margaux Keller, Jean-Christophe Arcos ou Emmanuelle Luciani. Ils sont designer, chef, galeriste, curateur ou directeur de festival. Et ils ne se sont pas installés ici par hasard. Créateur de la Galerie 54, Éric Touchaleaume termine d’aménager, sur les incroyables vestiges d’une ancienne usine à plomb en bordure d’une calanque, un parc de sculpture et d’architecture légère.
Un incroyable terrain de jeu
Il y pose régulièrement des pavillons de Jean Prouvé… Ora-ïto, éternel jeune homme naviguant à la frontière du design et de la culture pop, a fait de la cité phocéenne l’un de ses terrains de jeu. Il a osé viser le toit-terrasse de la Cité radieuse, pensée par Le Corbusier, pour fonder le MAMO, un centre d’art où il expose les plus grands créateurs contemporains. Pour Alstom, il vient également de signer le nouveau métro local, nez droit et corps blanc rehaussé de bleu, pour une mobilité douce, dont la mise en service est prévue en 2024.
« Je dis toujours que j’ai la double nationalité », s’amuse l’architecte d’intérieur Marion Mailaender, phocéenne de naissance à la tête d’un cabinet parisien. « Je loue un cabanon chaque été dans la calanque de Sormiou. Je ne pourrais pas me passer de Marseille. J’y accepte régulièrement des projets. » Dernier en date : Tuba, un lieu d’hospitalité d’un nouveau genre.Tuba, un lieu d’hospitalité d’un nouveau genre. Isabelle Crampes a, elle, fondé Marsatac, un festival musical débridé. Avec Delphine Landes, elle vient de créer le pure player Detoujours.com, qui réunit sur son site plus d’une centaine de vêtements originels chinés aux quatre coins du monde, de la pantoufle vénitienne au blouson K-Way, en passant par la cartouchière de chasse anglaise.
Marseille, obstinément indépendante
De leur côté, Jean-Christophe Arcos et Emmanuelle Luciani s’apprêtent chacun à inaugurer une nouvelle galerie d’art… Toutes ces idées nourrissent l’esprit d’une métropole qui continue de muter et de s’étirer en longueur du sud vers le nord. Cernée par son corset de collines, elle a longtemps contenu son développement et jamais, elle ne fut pensée en termes urbanistiques. Obstinément indépendante, elle est restée à l’écart des politiques d’aménagement encouragées par l’État, et l’idée récurrente d’un Grand Marseille a longtemps fait figure d’arlésienne. La ville s’est ainsi construite entre erreurs de développement et combines municipales, dans un mélange anarchique d’architectures et de petites plages improvisées… Et c’est sans doute ce qui fait son charme. Mais les planètes sont enfin alignées.
La possibilité d’une corniche
Le début des années 2000 a inauguré une réflexion, en faisant glisser le point d’équilibre vers le nord. L’ambitieux processus de transformation et de développement nommé Euroméditerranée investit un périmètre de 480 ha avec 2030 pour horizon. Des anciens docks de la Joliette aux silos à grain, en passant par les terminaux d’embarquement des paquebots oubliés, le projet ouvre la ville vers la mer et façonne une nouvelle centralité. La ZAC Littorale, créée à partir du programme de l’architecte urbaniste François Leclercq, s’appuie sur la très moche Autoroute du littoral. Elle s’enfonce dans le tissu urbain à coups de longs ponts suspendus. On y introduit des parcs et une corniche avec vue, le tout au pied d’une skyline estampillée de signatures célèbres.
L’aînée est repérable : la tour CMA CGM (147 mètres de haut), de Zaha Hadid, qui a entraîné dans son sillage d’autres silhouettes dessinées par Jean-Baptiste Pietri ou Yves Lion et offrant des appartements avec vue imprenable sur la Grande Bleue. Quant à Jean Nouvel, il a inauguré sur les quais d’Arenc sa singulière tour édifiée avec Marc Pietri et Constructa : 33 nuances de bleu, de blanc et de rouge, 55 000 m² de bureaux, 31 étages et 10 ascenseurs pour 200 millions d’euros d’investissement. L’architecte y a joué avec du béton allégé, quand Rudy Ricciotti a enserré son Mucem dans un cocon de dentelle de béton. Nouvelles mœurs, nouveaux matériaux. D’autres musées, des salles de spectacle ou un centre commercial avec vue sur les ferrys sont venus se greffer sur cet original septentrion.
Suivez les humeurs
Pendant ce temps, dans les vieux quartiers, la valse de la gentrification se poursuit. Il n’y a pas vraiment de centre-ville, à Marseille, mais une mosaïque de villages qui vont et viennent au fil des humeurs de la tendance. Il fallait se montrer place aux Huiles, puis sur le cours Julien ; cela se passe désormais du côté du boulevard Vauban, où l’on se prélasse aux terrasses, dans le quartier de l’Opéra, qui rassemble les multimarques chic, vers la Capelette, où Les Puces de Fifi regroupent antiquaires et brocanteurs. Et, plus récemment, à Noailles.
Cet immense marché du monde, à quelques pas du Vieux-Port, symbole de l’éclectisme marseillais tout autant que ventre gourmand et grouillant, mêle ses effluves d’épices, de menthe fraîche et de pizza. L’iconique Maison Empereur, l’épicerie L’Idéal et le bistrot Le Petit Saint Louis, récemment ouverts, ont attiré une faune nouvelle, curieuse de redécouvrir aussi L’Herboristerie du Père Blaise, le marché des Capucins, les vendeurs de wax au kilomètre et de vêtements de travail indigo.
Marseille, capitale du Sud
Dans cette ville qui a vu naître le styliste Simon Porte Jacquemus et les marques American Vintage, Sessùn, Kulte, Le Temps des Cerises, Kaporal ou Jott flotte un réjouissant sentiment de liberté vestimentaire dont les codes ne sont pas dictés par les podiums, créant une véritable explosion de looks sur les trottoirs. Imperturbable, Notre-Dame de la Garde veille sur ce joyeux fatras. La basilique perchée embrasse le panorama jusqu’à la mer, rappelant que, à l’instar de Barcelone ou de Tel-Aviv, Marseille, reconnue cité la plus ensoleillée de l’Hexagone, est avant tout une ville à la plage. Depuis celle des Catalans, à deux pas du Vieux-Port, jusqu’aux fabuleuses calanques, falaises échancrées dévoilant un calcaire d’une blancheur éblouissante, des pins parasols et des eaux cristallines.
Et s’il y a quelque chose qui divise les Marseillais, c’est bien le choix de leurs calanques ! La passion de ces paysages bruts et de ces éléments sauvages, garrigue et mer, définit l’amoureux de la ville. Une capitale du Sud qui ne cesse d’évoluer, de grouiller, de blaguer, oscillant entre réussites et déceptions, sans jamais perdre son charme. Il se passe toujours quelque chose à Marseille.
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