Au titre de « designer », Roger Tallon préférait celui de « problématicien », qui correspondait mieux à l’idée qu’il se faisait de son métier : dessiner des objets qui répondent à un environnement de contraintes. Né à Albi (Tarn), Roger Tallon a seulement 10 ans quand éclate la Seconde Guerre mondiale. Après des études d’ingénieur, il effectue son service militaire dans les troupes d’occupation en Allemagne et côtoie beaucoup d’Américains. Rien d’étonnant donc à ce qu’il se fasse engager, sitôt dégagé de ses obligations, par des firmes US. Il fait successivement ses armes chez Caterpillar, Dupont de Nemours et General Motors. Contrairement aux usages française, ces entreprises inscrivent le design dans le fonctionnement global de l’entreprise. Cette conception imprègne l’esprit de Tallon qui, à son retour, veut promouvoir cette nouvelle approche.
Alors que le mot « design » est presque inconnu en France, Roger Tallon rencontre Jacques Viènot (1893-1959), qui a la même vision d’une esthétique industrielle, et l’embauche en 1953 dans son agence Technès. Très vite, sa quête d’innovation est récompensée par une promotion au poste de directeur technique et artistique. C’est l’occasion pour lui de mener une réflexion sur la façon dont le design peut façonner notre quotidien. Il expérimente alors tous les domaines de création. Il s’intéresse au cinéma, au design graphique (il conçoit la maquette du magazine Art Press) et se rapproche d’artistes appartenant au courant des Nouveaux Réalistes (Yves Klein, Arman, César). Avec ce dernier, il crée des sièges anthropomorphes pour l’aéroport d’Orly en 1967.
Des succès en série
En 1963, Tallon dessine le P111 pour Téléavia. Dans un premier temps, l’entreprise refuse la commercialisation de ce téléviseur portable, mais Tallon insiste et obtient gain de cause : au-delà de son succès commercial, l’objet deviendra culte. Quand on l’interroge sur ses lignes futuristes, il répond qu’il s’est contenté d’épouser la forme des parties techniques…
D’autres succès viennent s’ajouter à la liste comme l’escalier hélicoïdal M400 (1966, commandé par un syndicat de fondeurs pour démontrer les qualités de la fonte d’aluminium), les couverts 3T (Daum, 1967) ou les sièges Cryptogramme (1969, commandés par le Mobilier National pour le Grand Palais et finalement édités depuis par Sentou).
Après vingt années de bons et loyaux services, Tallon quitte Technès en 1973 pour ouvrir sa propre agence où sa liberté sera totale : Design Programmes SA. Désormais, chacun de ses projets est envisagé dans une approche systémique qui interroge la conception dans son entièreté. Roger Tallon s’intéresse dès lors aussi bien à l’ergonomie, à la couleur, à la signalétique et à l’emballage qu’à l’esthétique de l’objet en lui-même. Par conviction, il crée ainsi 20 montres pour l’horloger bisontin Lip repris par ses salariés, dont l’iconique Mach 2000 et ses trois boutons aux couleurs primaires.
Roger Tallon, designer de la mobilité
Vouant une réelle passion à la mobilité, Roger Tallon sollicite la SNCF afin de moderniser sa flotte de trains. Il élabore ainsi le train Corail, dont il dessine les motrices et voitures et aménage les intérieurs afin de les rendre cohérents avec l’époque. Le succès est retentissant et Tallon dessinera par la suite toutes les versions du TGV ainsi que les Eurostar en 1994 et même le Funiculaire de Montmartre dont la cabine permet à petits et grands d’admirer le paysage. Le designer est parfaitement à son aise dans ces projets où les contraintes techniques, esthétiques et commerciales sont nombreuses. Il travaillera ensuite sur les métros de Mexico et Caracas ainsi que des cabines pour Air France.
Par la suite, Roger Tallon rejoint l’agence Euro RSCG et auréolé par le succès du TGV, crée le département design de l’École nationale supérieure des arts décoratifs de Paris. Il travaille sur le Minitel, dont il trouve le nom. En 1994, à 65 ans, il quitte Euro RSCG et se consacre en solo à des projets plus personnels, comme le tramway de Tours créé avec les artistes Daniel Buren et Louis Dandrel. Il planche sur le concept de « transfonctionnalité », en créant des objets qui peuvent avoir plusieurs usages différents. Et sur des solutions industrielles astucieuses : ses verres dansants Aphrodite (1999, Arnolfo di Cambro) sont tous les autre issus du même moule.
Au total, Roger Tallon aura conçu près de 400 produits industriels allant de l’électroménager au matériel de bureau, en passant par les chariots-élévateurs, les bidons d’huile, les projecteurs de diapositives ou les machines-outils, une typologie qu’il affectionne particulièrement. On trouve peu de mobilier dans sa production. Créé pour une boite de nuit parisienne qui n’ouvrira jamais, la chaise Module 400 au look industrialo-futuriste est néanmoins restée comme une de ses créations emblématiques, immortalisée dans le film La Piscine avec Romy Schneider et Alain Delon (1969). De même, sa chaise pliable TS (1977, Sentou) est toujours éditée, comme son tabouret Cryptogramme.
Quelques années avant sa mort en octobre 2011, Roger Tallon fait don de l’intégralité de ses archives au Musée des Arts décoratifs de Paris, qui organise une grande retrospective en 2016 et expose de façon permanente dans le Pavillon de Marsan une sélection de ses créations… qui restent aussi omniprésentes dans notre quotidien.