C’est une histoire de patience, d’observation, mais surtout de transmission, d’engagement et de préservation d’un bien culturel immatériel, de génération en génération. Officialisée par une loi de 1950, l’appellation « Trésor national vivant », attribuée par le ministère de l’Éducation japonais,attribuée par le ministère de l’Éducation japonais, est plus que jamais pertinente et d’actualité. Pour preuve, la fréquence et la vitalité des manifestations transversales créées entre l’Asie et l’Europe et, surtout, entre le Japon et l’Europe, comme la seconde session d’« Homo Faber », qui aura lieu du 10 septembre au 11 octobre à la Fondation Giorgio Cini sur l’île San Giorgio Maggiore, à Venise.
Dix-sept expositions y présenteront la quintessence des plus beaux artisanats nippons. Parallèlement, les musées du monde entier, tels que la Maison de la culture du Japon à Paris ou le musée Guimet, se disputent ces trésors. « Si, à Guimet, la plus grande partie des acquisitions provient de la collection privée de Krishna Riboud, cela n’exclut pas de nouvelles acquisitions », explique Hélène Gascuel, conservatrice depuis 2017, « comme des costumes de théâtre nô, des rouleaux tissés d’Itarô Yamaguchi illustrant Le Dit du Genji, ou encore des kimonos de Fukumi Shimura, trésor national vivant. »
L’art du kimono ou les secrets de la soie
Depuis plus de quarante ans, maître Kunihiko Moriguchi pratique le yuzen, une technique de teinture textile vieille de plus de trois cents ans utilisée pour les kimonos d’apparat. Il l’a réactualisée en troquant les motifs originels par des dessins graphiques abstraits. Après des études de nihonga (peinture japonaise) à l’université des arts de Kyoto, il a suivi les cours de graphisme de l’École nationale supérieure des arts décoratifs, à Paris. Ami de Balthus, il a séjourné à la Villa Médicis, avant de retourner en 1966 à Kyoto, dans l’atelier de son père, sacré Trésor national vivant en 1967. En 2015, il a dessiné pour la Manufacture de Sèvres le service à café Minori sur une forme inspirée du service Litron du XVIIIe siècle. Ce bel exemple de transversalité a été soutenu par la Fondation Bettencourt Schueller.
Teinturière et tisseuse de soie, Fukumi Shimura a été sacrée trésor national vivant en 1990, dans la catégorie « textile, teinture et fabrication de la soie du Japon ». Formée dans les ateliers des maîtres Tatsuaki Kuroda, Kenkichi Tomimoto et Toshijiro Inagaki, elle a exposé ses premières pièces en 1957, tout en menant une carrière d’écrivaine. Aujourd’hui, elle dirige avec sa fille, Yoko, l’atelier Ars Shimura ainsi qu’une galerie à Kyoto. C’est la transparence de la soie que Takeshi Kitamura traite avec une grâce aérienne. Il a débuté sa carrière dans une manufacture de Kyoto.
Mais c’est surtout l’exposition de Heizo Tatsumura dans le grand magasin Takashimaya d’Osaka, en 1959, qui a été le déclic. En 1963, il a rejoint l’atelier de teinture yuzen de maître Kako Moriguchi, a vu ses créations couronnées de nombreux prix et s’est spécialisé dans les techniques anciennes du ra et du rakin.
L’art de la vannerie ou l’éloge de l’invisibilité
Avec ses paniers en bambou, c’est à la nature que Katsushiro Soho, Trésor national vivant depuis 2005, rend hommage. « Lorsque j’ai débuté, c’était pour faire des objets utiles, dit-il. Je n’ai jamais considéré cela comme de l’art. » Issu d’une famille de fermiers, il a appris son art auprès de son père et de trois maîtres : Kikuchi Yoshii, Yagisawa Keizo et Saito Bunseki, et expose son travail, entre autres, à la galerie Tai Modern de Santa Fe, aux États-Unis. Même parcours pour Fujinuma Noboru, sacré Trésor national vivant en 2012, qui a débuté dans l’ingénierie et la photo avant de découvrir sa passion pour la vannerie, qu’il pratiqua chez maître Yagisawa Keizo. « L’art n’est pas ce qui se voit en surface, analyse-t-il, mais est au contraire la perception d’une forme d’invisibilité. »
Les précieuses fibres d’Amami
Sous le label Amami Oshima Tsumugi, cinq manufactures situées sur l’archipel d’Amami se partagent la fabrication d’un tissu destiné en grande partie au kimono. Cette merveille de tissage enferme toute la poésie du pays. Ido Diffusion la représente en exclusivité en Europe. « La défense de ce produit nécessite un minimum de sensibilité, explique William Berthe, directeur de l’enseigne. Ces tissus défendent une histoire, une culture. » Si certaines de ces manufactures gèrent toutes les étapes de fabrication, de l’élevage du ver à soie à la confection, d’autres se contentent d’importer la matière première et de tisser. À Amami, la tradition du tissage remonte à neuf cents ans.
Ici, tout est fait main : collecte, teinture, séchage, amidonnage, tissage de motifs. Pour empêcher que ces artisanats ne tombent dans l’oubli, les manufactures cherchent à diversifier, avec succès, leurs créations et transforment ainsi leurs somptueuses fibres en accessoires déco, habillage de petits fauteuils, coussins, stores, rideaux, tentures murales… histoire de décliner l’exceptionnel au quotidien.