C’est paradoxalement une exposition sur ses bagues qui a fait connaître au grand public Yves Gastou il y a deux ans. Il faut dire que, médiévales ou ultra-contemporaines, sa collection était d’un éclectisme fou… A l’image de son travail de galeriste. Car s’il était antiquaire et marchand d’arts décoratifs, Yves Gastou était avant tout un collectionneur sans œillères…. Et surtout un précurseur. Né en 1948 dans une famille de passionnés, avec un père commissaire-priseur, il grandit à Limoux, dans l’Aude, où il commence dès le plus jeune âge à amasser des objets. Et dès la fin de l’adolescence, il se lance comme antiquaire d’abord à Carcassonne puis à Toulouse. A l’époque, il se spécialise dans l’Art Nouveau et l’Art Déco, et défend notamment André Arbus à la fin des années 1960 alors que ses confrères se passionnaient pour le XVIIIe siècle…
Lorsqu’il arrive aux Puces de Saint-Ouen au début des années 80, il se prend d’affection avant tout le monde pour les Scarpa, Molino et Ponti… Et lorsque les autres marchands s’emparent d’un créateur qu’il a déniché, il l’abandonne et en trouve un autre ! « Il a toujours été avant-gardiste », soutient le spécialiste du mobilier du XXe siècle Gilbert Kann, qui a vu son premier lustre signé Gino Serfatti chez Gastou bien avant que soient rééditées les pièces du maestro du luminaire italien. « Il était curieux de tout mais n’a jamais été dans la tendance. Dans un intérieur, il pouvait mêler une table en marbre de Mangiarotti avec des chaise en bois ultra brut de Zimbaca et des fauteuils de Louis Majorelle. »
« On est tous des suiveurs de Gastou »
L’œuvre qui lui ressemble le plus, c’est sans conteste la façade de sa galerie de la rue Bonaparte (75006), aujourd’hui devenue mythique : cette devanture en terrazzo gris et noir a en effet été dessinée par Ettore Sottsass en 1986, lorsque l’antiquaire a emménagé à Saint-Germain-des-Près, dans un immeuble mitoyen de la cour de l’Ecole des Beaux-Arts. Les services du patrimoine ont bien tenté de la faire enlever mais, grâce à l’appui de Jack Lang, il a pu conserver ce que ses détracteurs appelaient à l’époque « une façade laide comme une devanture de boucher ».
Sottsass, c’est LA passion d’Yves Gastou. Celui-ci le clame sur le site de sa galerie : « En voyant le design italien des années 50 et 70, je suis devenu fou. Le plus éclatant, le plus révolutionnaire de ces années, où tout se voulait noir et triste, était Ettore Sottsass. C’était une explosion de couleurs, de matériaux pauvres comme le Formica mais avec humour, une immense culture, une réinterprétation de l’histoire du design européen. Pour moi, Sottsass et les mouvements italiens sont à l’origine de l’engouement actuel pour le design. »
Gastou aimait aussi les designers contemporains, lui qui s’autoproclamait « l’antiquaire du futur ». Shiro Kuramata, Ron Arad et Ettore Sottsass, qu’il a découverts trente ans avant les autres. « Ce qu’il proposait dans les années 1980-90, c’est ce que le public plébiscite aujourd’hui. On est tous des suiveurs de Gastou… », explique le galeriste Alexandre Guillemain. « Comme marchand, il a fait énormément pour le XXe siècle. Il a déniché des objets introuvables. Il avait cette folie qui lui permettait d’oser imposer ses choix comme quand il a choisi Sottsass pour sa façade. C’était un geste venu du cœur, en aucun cas de la provocation. » « Plus qu’un vendeur, c’était un passionné, un des rares qui continuait à aller aux Puces, à chiner chaque vendredi avec son fils Victor », renchérit Gilbert Kann. Victor collabore avec son père depuis une quinzaine d’années et c’est lui qui a repris ces derniers mois les rênes de la galerie, depuis l’AVC de son père à l’été 2019. « Nous sommes orphelins d’une passion, d’un partage, d’un œil et d’un homme qui nous faisait systématiquement sortir de notre zone de confort », conclut Alexandre Guillemain.
> Galerie Yves Gastou. 12, rue Bonaparte, 75006 Paris.
> Bagues d’hommes, par Yves Gastou, de Delphine Antoine et Harold Mollet, éditons Albin Michel, 49 €.