Lyon : La biennale d'art s'empare de Confluence et d'un couvent de Le Corbusier

L’ancienne capitale des Gaules accueille la 15e édition de sa Biennale d’art contemporain. Cet événement, conçu comme un parcours physique, visuel et spirituel, est ponctué des œuvres de plasticiens internationaux qui, pour la première fois, se sont emparés des anciennes usines Fagor.

C’est dans une friche industrielle de 29 000 m², dont l’entrée est barrée des mots géants de Stephen Powers, que se déroule une partie de la Biennale d’art contemporain. « Un lieu déterminant, marqué par les stigmates de l’actualité, dans lequel les artistes ont été invités à intervenir en se saisissant d’un contexte social, économique et symbolique », précise Yoann Gourmel, l’un des membres du collectif curatorial issu du palais de Tokyo. Originaires de vingt pays, ils sont une cinquantaine, tous réunis sous un titre emprunté à un recueil de poèmes de l’Américain Raymond Carver, Là où les eaux se mêlent, comme pour mieux ancrer l’événement dans ce territoire à la confluence de la Saône et du Rhône.

« Femmes » de Nina Chanel Abney (2019). Impression numérique appliquée sur la façade du musée d’Art contemporain de Lyon.
« Femmes » de Nina Chanel Abney (2019). Impression numérique appliquée sur la façade du musée d’Art contemporain de Lyon.  Blaise Adilon / Courtesy of the artist And Jack Shainman Gallery

Parmi eux, Bianca Bondi (née en 1986 en Afrique du Sud) a choisi d’investir la cuisine désaffectée. Elle y crée un manteau de sel qui se cristallise et recouvre chaque élément : l’évier, les verres, les assiettes, « insufflant une énergie positive à ce lieu autrefois florissant (Fagor était l’un des leaders du secteur des appareils électroménagers) et aujourd’hui empreint de mélancolie », comme le relève Claire Moulène, l’une des commissaires de cette biennale. Un sentiment qui s’attache au pas du visiteur qui déambule de halle en halle, où se succèdent des dizaines d’installations sans aucun fil conducteur.

« Repressed Memories Return as Symptoms of an Inner Disorder, They Also Return as Myths » de Bianca Bondi (2017).
« Repressed Memories Return as Symptoms of an Inner Disorder, They Also Return as Myths » de Bianca Bondi (2017). © ADAGP
« Refresh, Sacrifice, New Hygiene, Infection, Clean, Robot, Air, Housekeeping, Cigarette, Dyson, Modern People. III » de Yu-Cheng Chou (2018).
« Refresh, Sacrifice, New Hygiene, Infection, Clean, Robot, Air, Housekeeping, Cigarette, Dyson, Modern People. III » de Yu-Cheng Chou (2018). Courtesy de l’artiste et TKG+

L’art spectaculaire

De cette juxtaposition n’émergent que les dispositifs les plus spectaculaires : celui, par exemple, de l’Autrichien Thomas Feuerstein (né en 1968), qui a installé un pseudo-laboratoire scientifique au format XXL retraçant le supplice de Prométhée, personnage mythologique dont Zeus fit dévorer le foie par un aigle pour avoir donné aux hommes le feu sacré volé aux Immortels de l’Olympe. Autour de la statue du Titan enchaîné, plusieurs alambics sont disposés, reliés les uns aux autres par des tuyaux dans lesquels transitent des liquides chargés de bactéries : certains rongent la sculpture tandis que d’autres génèrent des cellules capables de reconstituer le foie de Prométhée !

« Prometheus Delivered (détail) » de Thomas Feuerstein (2017).
« Prometheus Delivered (détail) » de Thomas Feuerstein (2017). 2019
« Prometheus Delivered » (détail) de Thomas Feuerstein (2017).
« Prometheus Delivered » (détail) de Thomas Feuerstein (2017). Sabrina Silamo

Le plasticien d’origine kosovare Petrit Halilaj (né en 1986) présente quant à lui Shkrepëtima (« éclair » ou « étincelle » en albanais), une œuvre explosive constituée d’éléments en suspension, notamment des débris de sa maison détruite durant les guerres ethniques qui ont ravagé son pays natal. Cet admirable travail sur la mémoire fait face à deux gigantesques tuyaux en ciment. Sur l’un flotte une pierre, sur l’autre un tronc d’arbre. Dans les deux, des fragments de délicates icônes réalisées à la feuille d’or couvrent les parois. À demi effacées, ces peintures évoquent les phénomènes naturels du temps qui passe : la perte, la dévastation et la mort. Quarterly Myth, de la Thaïlandaise Pannaphan Yodmanee, s’inspire de l’art bouddhique que lui enseigna un moine du temple où, enfant, elle se rendait.

Aftermath de Pannaphan Yodmanee (2016).
Aftermath de Pannaphan Yodmanee (2016). Courtesy de l’artiste et Yavuz Gallery

En dehors de l’usine

C’est aussi un homme d’Église – le frère Marc Chauveau, du couvent de La Tourette, situé à vingt-cinq kilomètres de Lyon – qui est à l’initiative de l’invitation lancée à Anselm Kiefer (né en 1945). Le dominicain, ayant appris que l’artiste allemand avait résidé au couvent pendant trois semaines en 1966 (séjour déterminant au cours duquel le plasticien découvrit « la spiritualité du béton »), lui offre l’écrin moderniste de Le Corbusier pour y présenter ses peintures, sculptures, vitrines et livres.

Danaé d’Anselm Kiefer (2019).
Danaé d’Anselm Kiefer (2019). Anselm Kiefer et Jean-Philippe Simard

La trentaine de pièces sélectionnées, aussi chargées de symbolisme mythologique et religieux que les murs de ce lieu alliant architecture et spiritualité, « n’y sont pas seulement exposées mais habitent véritablement le couvent », déclare Marc Chauveau. Une réflexion particulièrement adaptée aux tournesols jaillissant d’un champ de ruines (Résurrection) qui s’élèvent derrière l’autel. Quant au parcours de cette biennale, il se poursuit au MAC Lyon (deux étages sont notamment réservés aux sculptures en bois de Dewar et Gicquel), à l’URDLA de Villeurbanne, avant de bifurquer vers la banlieue grâce au programme « Veduta » (interventions d’une dizaine d’artistes en collaboration avec les habitants) et en région, avec notamment le label « Résonance » (ensemble d’événements présentés dans des galeries, des musées ou des institutions culturelles).

> 15e Biennale de Lyon – Art contemporain « Là où les eaux se mêlent ». Dans plusieurs sites d’exposition de Lyon et ses alentours, jusqu’au 5 janvier 2020. Biennaledelyon.com