La dernière grande exposition monographique consacrée à Charlotte Perriand (1903-1999), au centre Pompidou, soulignait la place majeure qui lui revient dans l’histoire du design. Mais c’était il y a quatorze ans ! Depuis, la question de l’impact des modes de vie sur l’environnement et le bien-être est devenue centrale, et montrer son œuvre aujourd’hui, cela tombe à pic pour rappeler la pertinente modernité de son univers. La Fondation Louis Vuitton met pour la première fois à l’honneur une grande créatrice française. Et l’on constate, une nouvelle fois, que cette femme avait rayé le mot « repli » de son vocabulaire et qu’elle aspirait à s’ouvrir à l’Autre et à s’inspirer de l’Ailleurs – Japon, Viêtnam, Brésil.
Une femme libre
Ne voulait-elle pas avoir, nous dit sa fille, Pernette Perriand-Barsac, « le regard en éventail » ? Une façon de faire feu de tout bois, mais avec discernement. En neuf galeries, l’exposition retrace son parcours sous l’angle du caractère visionnaire de son œuvre. Cette traversée montre comment elle a mis à jour, en différents lieux et époques, les éléments clefs constitutifs d’un art de vivre, et révèle sa personnalité de femme libre dans le milieu à dominante masculine de l’architecture et du design. Ses abondantes archives, explorées par sa fille et par son gendre, Jacques Barsac, qui publie son œuvre complet en quatre volumes (Éditions Norma), ont constitué une base précieuse pour l’exposition.
Au départ, les visiteurs découvrent son idée de l’appartement idéal. En 1927, à Saint-Sulpice, le chez-soi de la jeune femme de 24 ans mise sur les meubles en acier chromé comme un défi au fauteuil club. Avec Le Corbusier et son cousin Pierre Jeanneret, elle participe à l’invention de la modernité incarnée aujourd’hui par la Chaise longue et le Fauteuil grand confort, présentés au Salon d’automne de 1929 (et édités depuis par Cassina sous les noms LC4 et LC2). Pour sa part, elle n’est pas une inconditionnelle de l’industrie et du fonctionnalisme à tout crin ni une thuriféraire de l’urbanisme autoritaire. Son projet « La maison du jeune homme », en 1935, milite pour plus d’espace, de lumière, d’œuvres d’art et de mobilier moderne.
Un attachement au Japon
Le visiteur la suit aussi au Japon, où elle est invitée pour orienter la production du pays dans le domaine des arts appliqués, et saisit l’influence de son séjour sur sa pensée. Elle repense les espaces de vie, opte pour les techniques traditionnelles et use de matériaux locaux. La jeune femme ne saurait être mieux en phase avec les designers d’aujourd’hui : elle aussi s’intéresse au bambou et chérit les échanges culturels avec ses amis nippons. Sans pour autant perdre son regard critique, ni au Japon ni quand elle revient travailler dans la France de la Reconstruction.
À mi-parcours de l’exposition, une synthèse bienvenue pointe la façon dont la créatrice conjugue les potentiels créatifs sans se soucier des frontières entre architectes et artistes. Elle travaille avec des gens différents sans se substituer à eux. L’esprit de la galerie parisienne Steph Simon, avec qui elle a tissé de nombreuses collaborations, entendait ainsi ouvrir, par l’art, les espaces de vie sur une autre dimension. Perriand intervient aussi au musée, celui d’Art moderne à Paris, ou à la galerie Louise Leiris, en 1989.
Architecte, familière des séjours à la montagne, elle inscrit au cœur d’une pente savoyarde la station des Arcs (1967-1989), un lieu de villégiature, certes, mais propice à la contemplation. Ceux qui ont vu en 1993 sa maison de thé à l’Unesco à Paris ont pu ressentir son habileté à faire ainsi dialoguer, dans l’usage, le fonctionnel et le contemplatif. Finalement, l’exposition fonctionne comme une ascension vers toujours plus de modernité. À se demander si quelque chose, dans toute l’œuvre de Perriand, a pu prendre une ride…
> « Le monde nouveau de Charlotte Perriand ». À la Fondation Louis Vuitton, du 2 octobre au 24 février. Fondationlouisvuitton.fr