Camille Khorram est une jeune designer indépendante qui s’est installée dans la région lilloise en 2014. Spécialisée dans le meuble et l’aménagement, elle aime travailler avec des artisans. Egalement professeure à l’ESAAT de Roubaix, elle a un jour embarqué ses étudiants en plein parc naturel de l’Avesnois, plus précisément dans son éco-musée. Destiné à conserver la culture locale de fabrication du verre, ce dernier a récemment pris conscience de l’importance du design pour faire vivre ses savoir-faire et a même embauché une designer à plein temps pour accompagner cette mutation. Emballée par ce premier contact avec les souffleurs, Camille Khorram y est retournée pour une « nano-résidence » d’une semaine : de ce séjour est né un projet d’objet en verre qui renouvelle radicalement les objets traditionnellement fabriqués dans les ateliers de l’éco-musée (des petits chats et licornes en verre tiré pour l’essentiel…).
Son projet de miroir en verre soufflé sous le bras, Camille Khorram rencontre Aequo. Cette jeune maison d’édition associative est née en 2018 de la volonté de trois designers (Tim Defleur, Arthur Lenglin et Benjamin Helle) de proposer du mobilier né dans le Nord mais aussi de travailler comme un collectif sur différents projets : workshops, curation, conseil en design… Le fil rouge de leur activité : réunir des savoir-faire et des créatifs des Hauts-de-France autour d’objets ancrés dans l’identité locale. « Notre région reste très riche en artisans et industriels, avec une culture forte. A travers le design, nous voulons montrer sa richesse. Même s’ils racontent notre histoire, nos créations peuvent fonctionner partout. Au Japon comme à Saint-Etienne, elles peuvent créer des résonances… »
Séduit par la démarche de Camille Khorram, le triumvirat d’Aequo lui demande néanmoins de repartir de zéro sur un nouveau projet qui soit pensé avec l’histoire de la région à l’esprit. « Je suis relativement nouvelle dans la région, raconte la designer. Avant de m’installer, j’entendais parler de la chaleur et de la solidarité des gens du Nord. Quand je suis arrivée, je me suis vite rendu compte que ce n’était pas un mythe mais une réalité, au niveau amical comme professionnel. Je voulais donc parler du vivre-ensemble à travers une dentelle de verre, qui fait écho à celle de Calais, mais aussi à l’écume des plages, à la mousse de la bière… On peut y voir plein de choses du Nord ! »
L’idée convainc Aequo, qui planche avec elle sur le concept et l’esthétique du produit. Quant à l’éco-musée de l’Avesnois, il arrive en soutien sur la technique, le développement, la fabrication, l’expertise du verre. « Camille avait déjà travaillé avec eux et elle connaissait donc les contraintes, les artisans… », avance Tim Defleur.
Néanmoins, tout ne se passe pas comme prévu… La halle verrière de Trélon a été construite à la fin XIXe et n’est pas isolée, ce qui crée d’importantes amplitudes thermiques, qui perturbent la fabrication de pièces délicates, comme la dentelle qu’a dessinée Camille Khorram : « A l’heure qu’il est [automne 2019, NDLR], nous sommes encore dans la phase d’expérimentation. Les premiers prototypes sont pour partie en verre soufflé et pour l’autre en boro-silicate tiré, mais tout cela demande encore à être finalisé… »
Ce vase paraît simple mais il met en œuvre beaucoup de techniques de travail du verre : le soufflage, le chalumeau, le façonnage après soufflage, le sablage… C’est un véritable concentré de savoir-faire. Si les techniques font l’objet d’un important travail de mise au point, le dessin est resté le même. « Notre objectif est désormais de trouver les bonnes techniques de fabrication pour arriver à un prix qui nous semble raisonnable, projette Arthur Lenglin. Pour ce faire, on bouscule le fabricant, mais il ne demande que ça ! » Et Mathilde Trotin, la designer intégrée à l’éco-musée, d’acquiescer : « Au départ, nos artisans verriers pensaient que le design ne servait à rien. Ce genre de projet fait évoluer les mentalités. Le design a ici toute sa place car il permet de se reconnecter à la fois à notre patrimoine et à notre époque. »
Lille 2020, capitale mondiale du design pourrait être un tremplin pour le projet Mousse d’Opale. C’est en tout cas ce à quoi travaille Aequo. De son côté, l’eco-musée poursuit sa mue design en organisant un Design Creative Camp de 5 jours, un hackhaton de designers qui réenvisagent la même forme, et accueille désormais de vraies résidences de designers…
> Exposition « Incubateur French Design 2019 ». Jusqu’au 22 novembre 2019. Galerie le French Design by VIA. 120, avenue Ledru-Rollin, 75011 Paris.