Architecture dansante ou chorégraphie architecturée ? Dans les années 1920, les performances sur scène de la danseuse Joséphine Baker inspirent à l’Autrichien Adolf Loos (1870-1933) une villa parisienne à la façade rayée comme un pull marin. Visiblement sensible à l’architecture, la sulfureuse Américaine entretient par la suite en 1929 une brève liaison avec Le Corbusier, le temps d’une croisière entre Rio et Paris à bord du paquebot Lutetia.
Dans les archives de la Fondation qui perpétue sa mémoire, les chorégraphes Gérard et Kelly ont découvert un dessin de Le Corbusier qui les montre comme un couple. On peut aussi les voir sur des photos participer à la vie mondaine de la traversée. Cette union a inspiré aux deux Américains une chorégraphie à sept danseurs destinée à être interprétée à la villa Savoye (Yvelines), chef-d’œuvre de l’architecte. Pour le duo, le lien entre modernisme et liberté du corps s’est imposé comme une évidence.
La Croisière s’amuse ne fait pas l’union sacrée
Brennan Gérard et Ryan Kelly sont des récidivistes. Dans le cadre de leur exploration des relations entre architecture et danse, ils ont déjà investi la Glass House de Philip Johnson (1949) plantée dans la nature du Connecticut. A leurs yeux, cette icône du XXe siècle, très transparente mais noyée dans la végétation, serait comme une métaphore de la vie intime de Philip Johnson, protégée des regards. Gérard et Kelly y ont donc filmé une performance dansée. Idem à Los Angeles, dans la maison de l’architecte autrichien Rudolf Schindler (1887-1953), pionnier du lifestyle communautaire émaillé de fêtes déjantées.
A l’occasion du Festival d’automne, les deux chorégraphes et leurs danseurs s’apprêtent donc à investir le bâtiment de Le Corbusier avec l’idée de le faire revivre. Pour Gérard & Kelly, la rencontre Corbu/Baker s’apparente à une contestation des normes sociales en vigueur à la fin des années 1920. Selon eux, on peut imaginer un le Corbusier qui danse l’architecture et une Joséphine qui architecture ses mouvements. Comme si la rationalité n’était pas forcément du côté de l’homme architecte mais bien de la femme danseuse.
Peut-être parce que la villa a peu été habitée, Gérard & Kelly s’en sont inspirée en imaginant qu’elle avait été carrément construite pour le couple temporairement formé par Le Corbusier et Joséphine Baker. La liberté de création réanime une liaison pour ce qu’elle peut symboliser. Parce qu’on n’imagine pas non plus forcément Le Corbusier, à qui on reproche des penchants fascistes, se lier sur le long terme à la danseuse, future héroïne de la Résistance et réputée pour son indépendance !
Coté liberté du corps, les artistes américains évoquent en interview la célèbre photo de le Corbusier posant nu, palette de peinture à la main, dans son cabanon de Roquebrune-Cap-Martin (Alpes Maritimes). Sans préjuger d’un même rapport au corps et à sa nudité, le duo de chorégraphes voit le couple Corbu/Baker échappant aux mœurs traditionnelles de l’époque. La croisière s’amuse ne faisant pas forcément l’union sacrée, l’union pas forcément le couple, on peut se demander jusqu’où peut-on interpréter l’histoire. Gérard et Kelly montrent en tous cas jusqu’où on peut la danser.
A voir :
> Clockwork, 40 minutes de performance à deux danseurs dans l’appartement-atelier de le Corbusier, 24, rue Nungesser et Coli, 75016. Du mercredi 16 au vendredi 18 octobre, à 11 h, 13 h, 15 h et 17 h. Réservations ici.
> Modern Living, une heure avec 7 danseurs, le 28 septembre à la villa Savoye, à Poissy, chef-d’œuvre architectural de Le Corbusier. Du 28 septembre au 6 octobre. Réservations ici.
> Projection du film Schindler/Glass House, le jeudi 10 octobre au Centre Pompidou, Cinéma 1 à 19 h. Réservations ici.
> Ce projet est soutenu par la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme « New Settings ».