« Formentera, c’est la Corse sans les bombes, Ibiza sans les boîtes, Moustique sans Mick Jagger, Capri sans Hervé Vilard, le Pays basque sans pluie. »
Frédéric Beigbeder, L’amour dure trois ans (1997).
Formentera a longtemps joué les discrètes. En marge d’Ibiza, alors presque inconnue, Barbet Schroeder tournait ici quelques scènes de More, son premier long métrage, sorti en 1969, sur une musique des Pink Floyd. Déprimant mais mythique, le film allait nourrir une fascination pour les communautés hippies de l’époque, au point de poser les plages vierges de l’Île au gecko en rivales potentielles de Katmandou ou Goa. Le flower power, les icônes du rock, Jimi Hendrix, Bob Dylan, King Crimson, Led Zeppelin et les nuits de pleine lune n’en finissaient plus de faire tourner les moulins de la légende. Aujourd’hui, quatre compagnies organisent un ballet de rotations incessant.
On laisse derrière soi les remparts d’Eivissa la fêtarde, sa house déjantée et ses fincas tape-à-l’œil louées à prix stratosphériques aux footballeurs du Real Madrid. Moins d’une demi-heure plus tard apparaissent déjà les îlots d’Es Freus, sanctuaire d’oiseaux marins, puis les rives translucides d’Espalmador. Pas un toit, pas une paillotte pour s’abriter du soleil cuisant. Sa tour de défense du XVIIIe siècle semble narguer les bateaux et kayaks venus mouiller quelques heures devant sa plage de carte postale où les nudistes ont bien du mal à se sentir seuls au monde. Uniques voyeurs autorisés sur l’îlot, les tadornes, les pluviers ou les puffins des Baléares, espèces d’oiseaux endémiques qui nidifient en nombre dans les dunes et la forêt de genévriers « sabines ». Dans cette partie du parc naturel de Ses Salines, commun à Ibiza et Formentera, le Consell Insular a dû interdire les bains de boue aux touristes qui finissaient par troubler la quiétude des volatiles.
Ces eaux cristallines n’échappent pas non plus aux yachts de luxe. Dans une chorégraphie de Zodiac bien rodée et de radios VHF crachotantes, leurs riches clients accostent sur le ponton de Juan y Andrea, le restaurant de plage chic et cher où il faut être vu quand on est certain d’être un VIP. Au port de La Savina, on peut tout aussi bien louer une Mehari qu’un scooter ou mieux, un vélo électrique ; ce dernier restant le moyen le plus écolo de découvrir l’île, qui s’étire plutôt platement sur 19 km avec pour seul handicap la sinueuse montée au village d’El Pilar de La Mola, à l’extrême sud-est. D’autant que, pour la première fois cette année, les autorités limiteront le nombre de véhicules en circulation en juillet et août, preuve que la fréquentation en constante augmentation est à son comble.
Une vigie sur les flots
Le cap de Barbaria est le point le plus méridional des Baléares. Ici, comme ailleurs sur l’île, les sentiers rutas verde zigzaguent entre les traditionnels murets de pierre sèche. Pas moins de trente-deux chemins balisés quadrillent la campagne autour de terres agricoles, de fincas et de maisons soigneusement cachées dans la végétation. L’une d’elles retient l’attention. Son entrée, décaissée au milieu d’une large toiture en escalier, projette immédiatement dans l’esprit de la Villa Malaparte, telle que Godard l’a filmée dans Le Mépris. Capri et sa mythologie. Formentera et son panorama. Dans sa teinte chaude de stucco vénitien, sa simplicité tranche sur le vert intense des genévriers et, tout de suite après, sur l’indigo de la Méditerranée, tendue en grand écran. La falaise abrupte ne laisse d’autre échappatoire que le cinéma des souvenirs.