Doit-on encore présenter Venise, cette cité lacustre riche de plus de quinze siècles d’histoire, à la configuration architecturale unique au monde, à travers laquelle on ne peut se déplacer qu’en bateau ou à pied ? Place maritime de premier ordre entre le Moyen Âge et la Renaissance, la Cité des Doges a longtemps été une porte européenne vers l’Orient et l’Asie, où marchands et voyageurs se croisaient pour commercer et échanger leurs savoirs. Ainsi, la Sérénissime détient depuis longtemps dans ses gènes cette double identité de puissance économique et de place culturelle. Des artistes du monde entier y sont venus pour s’inspirer et créer, à commencer par des figures locales telles que Titien, Véronèse, le Tintoret, Goldoni ou Vivaldi.
De prime abord, la Venise d’aujourd’hui a tout de la carte postale, avec sa fabuleuse concentration de palais historiques et d’édifices religieux entourés par les eaux, donnant l’impression que le temps s’est arrêté il y a plus de cent ans, abstraction faite de l’incroyable masse de touristes affluant toute l’année en avion, en car ou, pire, à bord de ces gratte-ciel des mers qui empruntent sans gêne le canal de la Giudecca. Désormais, ils seraient quelque 30 millions par an à venir voir la Cité des Ponts. En réalité, principalement la place Saint-Marc, le Rialto et les ruelles reliant ces deux sites…
Car à Venise, contrairement aux idées reçues, on marche plus qu’on ne navigue, et les temps de déplacement peuvent difficilement être réduits. « Heureusement, les Vénitiens ont appris, pour échapper à la foule, à avoir leurs propres chemins. En aucun cas ils n’empruntent ceux, fléchés pour rejoindre les sites iconiques de la ville, devenus de véritables aimants touristiques », explique Raffaele Alajmo, propriétaire avec sa famille du Caffè Quadri, sur l’incontournable place Saint-Marc. Avec sa grande terrasse, l’adresse est une institution, mais elle a su ne pas s’enfermer dans une posture de mausolée.
« Il y a deux ans, nous avons demandé à Philippe Starck, avec qui nous avions déjà travaillé à Paris, au Caffè Stern, de restaurer le Quadri. Il a su faire rejaillir des décors historiques fabuleux et en même temps placer une multitude de détails très contemporains qui rendent l’endroit vivant et ludique. Par exemple l’enseigne du café à moitié oxydée, afin d’évoquer la fameuse “acqua alta” qui se produit lors des grands mouvements de marée à Venise », explique Raf. Il souligne au passage le caractère novateur de la carte du restaurant, composée par son frère Max, qui remet au goût du jour de manière créative des fondamentaux de la cuisine vénitienne.
Une attitude partagée sur l’illustre piazza par le verrier Venini – qui continue de proposer dans sa boutique des pièces de designers à l’avant-garde (Ron Arad, Emmanuel Babled…) – ou bien à travers la présence de ce petit écrin signé Carlo Scarpa : le Negozio Olivetti, tel qu’il avait été conçu à la fin des années 50 par l’architecte vénitien, par ailleurs auteur de quelques édifices en ville qui s’immiscent adroitement dans l’histoire.