«J’aime la montagne profondément. Je l’aime parce qu’elle m’est nécessaire. Elle a été de tout temps le baromètre de mon équilibre physique et moral. Pourquoi ? Parce que la montagne offre à l’homme la possibilité de dépassement dont il a besoin », écrivait Charlotte Perriand (1903-1999) en 1966, dans un article de la revue Aménagement et nature, sous le titre éloquent « Prendre conscience de nos responsabilités ».
À cette époque, la démocratisation des sports d’hiver bat son plein et les projets de création de stations de ski se multiplient. Entre ère industrielle et avènement des congés payés, les Français découvrent la montagne et il faut faire face à une demande croissante.
Alpiniste, skieuse et véritable montagnarde dans l’âme, passionnée par l’architecture de loisirs, Charlotte Perriand n’a pas attendu cet engouement de masse pour réfléchir à la question. Dès les années 30, elle imagine la station de ski parfaite : un projet « qui gravirait la pente pour former un ensemble où chaque étage aurait une vue sur l’horizon ».
Après quelques réalisations à une échelle modeste, comme son chalet à Méribel (1946-1948), c’est aux Arcs qu’elle aura l’opportunité de concrétiser ses recherches et d’exprimer toute l’étendue de son talent visionnaire.
Dans un site vierge, au cœur de la vallée de la Tarentaise, l’architecte et designer trouve un territoire propice à ses expérimentations et réalise ainsi son grand œuvre, depuis l’urbanisme jusqu’au dessin de la petite cuillère.
Entre 1967 et 1989, Charlotte Perriand se consacre pleinement au projet de sa vie avec le promoteur immobilier Roger Godino, polytechnicien et fondateur des Arcs. Main dans la main, ils imaginent une station de sports d’hiver intégrée, résolument avant-gardiste et humaniste dans son approche. Avec, à l’origine, un acte original : l’absence de voitures. D’autres stations ont fait un choix similaire, qui demeure une véritable révolution pour une époque encore peu préoccupée par les problématiques de pollution et d’écologie. « Je prônais comme toujours l’intégration : architecture-équipement-environnement, mettant en valeur une volumétrie intérieure faite d’harmonie, en rapport avec le paysage de la montagne, toujours présente, superbe », explique-t-elle* alors.
Disposés en peigne, les bâtiments sont implantés perpendiculairement à la pente pour optimiser les vues. Les terrasses sont surélevées, décalées les unes des autres pour gagner en intimité. Guidé par la volonté d’un nouvel art de vivre à la montagne, l’aménagement intérieur est un concentré d’inventivité. Tout est pensé en fonction des usages : la cuisine ouverte, la banquette le long de la fenêtre ou le crépi blanc pour améliorer le confort acoustique.
Les appartements n’ont d’autres vis-à-vis que celui de l’immensité des montagnes. Les vues généreuses sont inspirées par celles des chalets et refuges que Charlotte Perriand a fréquentés lors de ses multiples randonnées.
En 2019, les Arcs s’apprêtent à souffler leur cinquantième bougie. Les fameuses salles de bains préfabriquées en polyester rouge orangé ont rejoint les collections modernes des musées. Aujourd’hui, nombreux sont les appartements qui ont été profondément transformés, aux antipodes des principes mis au point par Charlotte Perriand.
Cependant, l’essentiel demeure : une conception sensible et intelligente qui fait des Arcs une station qui ne ressemble à aucune autre.
Toute l’année, l’office du tourisme organise des visites architecturales à Arc 1600 et Arc 1800, deux des sites du domaine, pour découvrir à pied ou à skis le travail de Charlotte Perriand et mesurer l’étendue du talent de cette personnalité incontournable du XXe siècle.