Cette année, durant l’incontournable Salon du meuble de Milan, un vernissage a réussi à faire sensation sans chercher le buzz par les moyens habituels. Même la télévision italienne a accouru pour interroger les monstres sacrés de l’architecture et du design, qui, à l’invitation de Bottega Ghianda, s’étaient retrouvés à l’Académie des sciences et des lettres pour y découvrir sa nouvelle collection de mobilier.
Les chefs-d’œuvre d’ébénisterie présentés rendaient aussi hommage au merveilleux travail des artisans de Valmadrera, au bord du lac de Côme. En 2015, Romeo Sozzi, lui-même designer et ébéniste, distingué riverain du même lac de Côme, avait fait l’acquisition de l’entreprise avec ses fils. Dans la foulée, ils choisissaient comme directeur artistique l’architecte italien Michele De Lucchi, grand connaisseur du bois.
Autour de lui, ce soir d’avril à Milan, on pouvait donc assister à un défilé de sacrées pointures. Seul designer à ne pas être architecte, Naoto Fukasawa exposait On-on et One on One, un étonnant ensemble comprenant bureau, chaise et table basse très sobres et tout en poésie, uniquement composés de poutres d’érable. « Je voulais montrer la maestria des artisans de Bottega Ghianda. J’ai donc utilisé un élément à section carrée comme élément principal de cette petite famille de meubles. Le point de jointure entre trois pièces était très délicat à réaliser parce que cela nécessite une grande précision », raconte le designer, qui était « sûr que Bottega Ghianda pouvait atteindre ce niveau de qualité ».
L’architecte français Jean Nouvel était, lui, l’auteur d’Énigme à tics, un buffet en poirier sur roulettes qui a tout du meuble à secrets. Somptueuse boîte de jeux « impossibles à jouer, souvenir de nos vrais-faux tiroirs », poétisait l’architecte, qui laissait le meuble suggérer cette impression de mystère sans qu’on ait besoin d’en raconter plus. Son confrère italien Mario Bellini a livré Flying Bridge, une table en érable aussi bien plantée que l’architecture d’un pont. « C’est toujours un plaisir de dessiner une table aussi simple, mais c’est aussi un challenge », déclarait-il tandis qu’on découvrait également son Frisbee, un plateau rond et tournant en poirier. Mario Bellini suggérait d’y déposer des objets qu’on aimerait voir sous des angles différents.
Il était troublant de voir réunis, dans le périmètre de la petite salle d’exposition, tous ces grands noms plutôt amusés de faire une photo de groupe comme des nouveaux venus. Architecte et designer, Tobia Scarpa, très en verve, expliquait à sa façon, toujours indirecte, les subtilités de sa table Tor et de sa chaise Ule, en acajou. Pour lui, les valeurs sur lesquelles repose l’artisanat incarné par Bottega Ghianda peuvent parfois être momentanément négligées mais ne seront jamais oubliées. « L’homme aura toujours besoin de beauté dans ses expressions les plus diverses », affirmait-il.
Michele De Lucchi avait quant à lui, presque modestement, conçu un valet de nuit en poirier baptisé Alfred. Inutile de dire que toutes ces créations fourmillent de détails et trahissent la main de l’homme. Les architectes ont-ils d’ailleurs, comme on l’entend parfois dire, un sens des proportions plus aigu que les designers ? La réponse est non, si l’on considère le travail d’un Naoto Fukasawa, qui, sans être architecte de formation, ne fait pas vilain petit canard dans cette armée de beaux et vaillants mercenaires, attaquant la banalité aux côtés des artisans de Bottega Ghianda.