C’est un quadrilatère situé au nord du Plateau Mont-Royal (quartier bien connu des Français qui visitent Montréal), coincé entre une voie ferrée, la Petite-Italie et une poignée de grandes avenues de passage. Jusqu’à récemment, personne n’y allait, à part ceux qui travaillaient dans des ateliers de textile, dans les garages ou les petites usines installées le long de la voie de chemin de fer. Les rares habitants descendaient d’ouvriers italiens qui y avaient fait élever de modestes maisons de brique bordées d’un mini-potager. Le secteur avait aussi attiré quelques artistes dans des lofts un peu miteux, mais très abordables, ainsi que des architectes qui, avant les autres, en avaient rapidement compris le potentiel. Comme Henri Cleinge.
Dès 2002, il a transformé une ancienne fabrique en trois townhouses (des maisons hautes avec murs mitoyens) revêtues de béton et d’acier Corten – pas ou peu de réglementation permettait ici ce genre de fantaisies. Il a fini par y faire ériger sa propre habitation. Puis ce fut au tour de Saucier + Perrotte, l’un des studios les plus estimés au Canada, de s’y installer en 2006. L’architecte Gilles Saucier vit au dernier étage d’un petit bâtiment industriel qu’il a transformé, doublement conquis par la population locale – des anglophones, des francophones, des gays, des psychorigides, des vieux, des jeunes – et par les milliers de mètres carrés disponibles à la rénovation, voire à la construction. Les promoteurs se sont ensuite rués sur les opportunités et, peu à peu, les usines se sont muées en habitations. Certaines sont encore vacantes, mais personne n’a de doute quant à leur avenir. Une conversion en condos ou en bureaux pour start-up et créatifs en tout genre les attend. Le groupe Publicis s’y est installé cet été ; Behaviour Interactif, créateur de jeux vidéo, y a déménagé il y a un peu plus d’un an.
Les restaurants furent les premiers, à commencer par Mile-Ex, qui a donné, selon les dires de son propriétaire, son nom au quartier. Grégory Paul l’a ouvert en 2012. Une cantine bien plus gastronomique qu’elle n’en a l’air, où ce chef originaire de Montpellier fait un carton avec son mélange des genres, entre street food et brasserie contemporaine. Au-delà du loyer bon marché, il fallait un certain courage pour s’installer dans cette rue résidentielle, difficilement accessible, dans un environnement pas franchement glamour. Le restaurateur a réussi son coup et s’est inspiré pour baptiser son établissement du nom des quartiers voisins : « Mile » pour Mile End, hipster et limitrophe au sud, et « -Ex » pour Parc-Extension, multi-ethnique et situé à l’ouest. Mais il ne fut pas le premier ! Le pionnier ? Le Dépanneur Le Pick-Up, ouvert en 2009 par une ex-membre du groupe d’électro-punk Lesbians on Ecstasy (ça ne s’invente pas !). Cette adresse hybride entre le classique dépanneur et le snack-bar est une institution, qui n’a rien perdu de sa pertinence. Le brunch du dimanche rassemble une population jeune, plutôt anglophone, reflet fidèle de la culture alternative qui nourrit encore la ville.
En s’y promenant, on réalise qu’il n’y a finalement pas grand-chose à voir dans Mile-Ex : aucun monument, aucun musée, très peu de boutiques. Certes, les amateurs de constructions bien faites et d’urbanité y trouveront un collage intéressant de styles, de belles maisons d’architectes adossées à de très ordinaires bâtiments en brique, d’immeubles industriels sans aucun charme voisins d’autres, ornés de petites touches Art déco. Une déambulation qui débouche, certes, sur des terrains vagues, des parkings ou des culs-de-sac. On y trouve pourtant un Montréal inattendu et très fidèle à l’essence même de cette ville : authentique, sans prétention, formée de strates issues de ses nombreuses vagues d’immigration, au milieu desquelles la créativité s’installe de manière improvisée. C’est le soir qu’elle s’exprime le mieux avec une concentration de restaurants de qualité, qui ne prennent pas leurs clients pour des touristes. Les Montréalais ne s’y trompent pas et fréquentent assidûment ces adresses éloignées du centre-ville, mais au plus près d’une cuisine généreuse et inventive. C’est donc par le bout de la fourchette qu’il vaut mieux aborder Mile-Ex.
Pratique
Y ALLER
> Air Transat, compagnie régulière canadienne, dessert Montréal tous les jours au départ de Roissy CDG et d’autres villes françaises, de mai à octobre. Possibilité d’atterrir dans une ville et de repartir d’une autre, sans frais. Tarifs A/R à partir de 383 € TTC.
HÔTEL
Fairmont / Le Reine Elizabeth (1)
Il n’y a pas d’hôtel dans Mile-Ex et très peu à proximité. Pour trouver une adresse au design et aux services de qualité, il faut descendre jusqu’au centre-ville où cet hôtel historique vient de rouvrir après une importante rénovation. Les chambres répondent au standard, mais c’est par ses espaces communs que le lieu se distingue. La firme montréalaise Sid Lee Architecture y a rendu hommage à l’époque de la construction du bâtiment, la fin des fifties, tout en les dynamisant de créations contemporaines. Mentions particulières au bar Nacarat, pour le décor et les cocktails, et au food court (des comptoirs spécialisés) haut de gamme Marché Artisans.
900, boulevard René-Lévesque. Tél. : +1 514 861 3511.
Retrouvez nos restaurants, bars, boutiques et galeries préférées à Mile-Ex dans le numéro 134 d’IDEAT, actuellement en kiosques ou en version numérique ici.