Beaupassage : Là où les grands chefs sont chez eux…

Projet immobilier ambitieux, empreinte architecturale léchée, Beaupassage renoue avec l’esprit sophistiqué des passages parisiens du XIXe siècle. Un temps flâneur, toqué d’art contemporain, où la fine fleur des officiers de bouche fait saliver le Tout-Paris.

Il est à peine huit heures et de douces effluves beurrées s’envolent de la boulangerie Thierry Marx. Au plafond, les volutes assemblées dans un plaquage fauve ne sont pas sans rappeler l’aérien feuilletage des viennoiseries au sortir du four. Les pains de mie, eux, attendent leur heure, celle du déjeuner, pour s’enrouler en breadmakis sur une large plaque chauffante teppanyaki, selon la recette originale du cuisinier étoilé, aussi à l’aise dans la boulange – au point d’ouvrir une première enseigne près de l’église Saint-Augustin il y a deux ans – qu’aux fourneaux du Mandarin Oriental, le palace parisien. Cet amateur de street-food asiatique forme aussi des centaines d’apprentis chaque année dans son école Cuisine mode d’emploi(s) située à Belleville, le quartier de son enfance.

Certains d’entre eux se retrouveront peut-être parmi les équipes des artisans-commerçants ayant répondu aux sollicitations d’Emerige, le promoteur à l’initiative de Beaupassage, programme audacieux où cinquante-neuf logements côtoient une douzaine de surfaces commerciales. Yannick Alléno, Anne-Sophie Pic et Pierre Hermé, autres ambassadeurs tricolores, ont joué les locomotives, ouvrant cave, café et comptoir dans cet élégant microcosme Rive gauche qui se rêve accueillant et culturel. Un pré carré contemporain où il est question de remplir son cabas dès potron-minet, déjeuner en terrasse, enfiler des gants de boxe coaché(e) par un champion, choisir un cru bourgeois, une viande maturée et des pâtisseries pour le dîner, ou encore flâner d’un vernissage à l’autre avant d’enchaîner sur le musée Maillol voisin…

Chaque restaurant ou commerce de Beaupassage possède sa propre terrasse.
Chaque restaurant ou commerce de Beaupassage possède sa propre terrasse. Beaupassage

Pionnière du quartier, la fromagerie Barthélemy, avec ses étals pléthoriques, est l’exact contrepoint de %Arabica, au décor savamment épuré, signé du studio Nendo, qui fait partager l’umami (la cinquième saveur) au détour d’un terroir guatémaltèque. Déjà fleurissent les plantations de Michel Desvigne, un artiste en matière d’essences et de paysage. Pierre Hermé a, lui, fait plancher Laura Gonzalez à nouveau (dans la droite ligne du très réussi salon de thé des Champs-Élysées) sur son premier café parisien pour associer des moutures de compétition à ses collections pâtissières.

Anne-Sophie Pic propose une cuisine faite de petits plats conditionnés en verrines et pasteurisés à 65 °C.
Anne-Sophie Pic propose une cuisine faite de petits plats conditionnés en verrines et pasteurisés à 65 °C. Serge Chapuis

Le restaurant Mersea garde également son cap et fait parler d’Olivier Bellin, l’aubergiste étoilé des Glazicks à Plomodiern, qui en a repêché la carte. Alexandre Polmard fait des heureux carnivores et réjouit les amateurs de cigares : son restaurant aux allures d’étable racée, perché au-dessus de sa troisième boucherie, propose sa propre édition de feuilles de tabac en direct du Honduras. Le designer Mathieu Lehanneur imprime, quant à lui, son talent débridé au Daily Pic, le comptoir épicurien de dame Pic qui « monte » à la capitale ses recettes basse température, garantes de saveurs au top. Enfin l’Allénothèque s’articule autour du vin, de la table et de l’art : au rez-de-chaussée, une vaste table d’hôtes pour déguster une bouteille choisie en cave parmi 700 références singulières ; et c’est Laurence Bonnel-Alléno qui installe sa galerie d’art Scène Ouverte au premier étage de cette fusée hédoniste.

Pierre Hermé ouvre son premier café : la décoratrice Laura Gonzalez y a mis les formes.
Pierre Hermé ouvre son premier café : la décoratrice Laura Gonzalez y a mis les formes. Beaupassage

Là encore, l’art contemporain fut une composante intrinsèque du projet initial. Avec ses trois accès, boulevard Raspail, rues du Bac et boulevard de Grenelle, « l’opération de couture urbaine » menée par les architectes Frédéric Bourstin et Franklin Azzi devait « conjuguer quatre époques architecturales avec des styles hétéroclites », ajoute Laurent Dumas, fondateur d’Emerige, le promoteur immobilier le plus en vue du moment. Le nouveau président du conseil d’administration du Palais de Tokyo reste convaincu que l’art peut changer le quotidien. Son groupe est un mécène engagé dans la charte « 1 immeuble, 1 œuvre », instituée par le ministère de la Culture pour encourager l’émergence d’artistes vivants et rendre visible l’art dans la ville. Depuis son ouverture fin août, Beaupassage a fière allure, peuplé d’œuvres monumentales commandées à Fabrice Hyber, Stefan Rinck et Marc Vellay. Après avoir éclos l’hiver dernier au « 7 rue de Tolbiac », autre programme Emerige transcendé par l’art, la traversée d’Eva Jospin, spectaculaire biotope de carton, est venue, elle aussi, s’enraciner dans ce lieu entre parenthèses, entre « bon ton et bien-être ».

> Beaupassage. 53-57, rue de Grenelle, 83-85, rue du Bac et 14, boulevard Raspail, 75007 Paris.