Portrait : GGSV, les têtes chercheuses du design français

Ils se sont rencontrés à l’ENSCI avant de s’associer au sein du Studio GGSV en 2011. L’an dernier, Gaëlle Gabillet et Stéphane Villard ont redonné des couleurs à la Galerie des enfants du Centre Pompidou puis ont signé un très remarqué tapis disco pour Gufram. Premiers designers lauréats de la Villa Médicis en tant que duo, ils placent leur résidence à Rome sous le signe d'une éthique responsable.

On peut pratiquer une discipline presque par hasard. C’est le cas de Gaëlle Gabillet qui, plutôt que de devenir architecte comme elle en rêvait depuis l’enfance, a embrassé le design. « Pour soutenir un copain qui passait le concours de l’ENSCI, je me suis présentée aussi. J’ai été prise et suis tombée amoureuse de cette école. » Le premier jour, la jeune femme – moins séduite par l’aspect technique que par l’esthétique – s’assoit à côté de Stéphane Villard. Ce dernier sait depuis l’âge de 16 ans qu’il dessinera des objets avec, en tête, une approche fonctionnaliste et l’idée d’« améliorer les choses ». « J’avais cette attirance pour l’idée de refaire le monde à tout moment. Comme les Barbapapa ! » Après des études de génie mécanique, il se spécialise dans le design industriel, puis intègre l’ENSCI.

Son premier objet ? Un fauteuil roulant. « Il n’en existait pas d’élégant ; or c’est quasiment un vêtement. » Son diplôme en poche, le Grenoblois d’origine rejoint la direction R&D d’EDF. Commissaire de l’expo « So Watt ! Du design dans l’énergie » portée par la Fondation EDF, à Paris, en 2007, il demande à Gaëlle Gabillet, qui signe déjà des scénographies pour le MAD (Musée des Arts décoratifs), de l’épauler.

À Saint-Étienne, lors de la Biennale de design dont le couple assurait en 2015 le commissariat et la scénographie : l’autel Illusion.
À Saint-Étienne, lors de la Biennale de design dont le couple assurait en 2015 le commissariat et la scénographie : l’autel Illusion. Studio GGVS

Quatre ans après, le couple à la ville a un déclic en visionnant Green, le film de Patrick Rouxel. L’histoire de cet orang-outan menacé par la déforestation en Indonésie les bouleverse au point qu’ils décident de se focaliser sur l’écologie. « On s’est demandé comment créer des objets en plus pour faire des objets en moins ! », explique Gaëlle. Le livre Faire place, du philosophe Pierre-Damien Huyghe, avec qui ils échangent, nourrit leur réflexion autour du désencombrement.

Le tapis Dance Floor, pour la ligne « Disco Gufram » du célèbre éditeur italien à l’esprit pop, a été présenté à la Design Week de Milan cette année.
Le tapis Dance Floor, pour la ligne « Disco Gufram » du célèbre éditeur italien à l’esprit pop, a été présenté à la Design Week de Milan cette année. ToiletPaper

Le Studio GGSV naît en 2011 avec « {Objet} trou noir », autant une collection qu’un projet de recherche. Le duo imagine notamment un radiateur fabriqué à partir de « déchets ultimes », un matériau noir créé à partir de résidus d’ordures incinérées. Faisant renouer les arts de la table avec l’électroménager, il dessine aussi un système de « vaisselle ménagère » polyvalente, où un appareil à raclette peut faire office de yaourtière. Très remarqué, ce projet-manifeste respectant les principes de l’éco-design est lauréat de la « Carte blanche » VIA 2011 et rejoint en 2017 la collection permanente du Centre Pompidou. Touche-à-tout, Gaëlle et Stéphane éditent peu d’objets, préférant multiplier les terrains de jeux : design, architecture d’intérieur, scénographie…

Scénographie réalisée pour la Biennale de Saint-Etienne 2015.
Scénographie réalisée pour la Biennale de Saint-Etienne 2015. GGVS

Pour l’expo « Form FoIlows Information », à la Biennale de Saint-Étienne (2015), dont ils assurent le commissariat et la scénographie, ils mettent en scène une série d’objets matérialisant l’invisible. « On adore raconter une histoire complète, fabriquer un environnement nouveau. » Le Centre Pompidou, à l’occasion de ses 40 ans, leur confie sa Galerie des enfants, un univers malléable où les petits peuvent bâtir leur propre monde. « Nous nous sommes autorisés à délirer en créant une œuvre totale. Nous souhaitions donner aux enfants l’émotion que l’on préfère, celle que l’on ressent quand les choses s’assemblent, en leur permettant de faire d’énormes sculptures qu’ils ne pourraient jamais réaliser chez eux. » Résultat : « Galerie Party », une installation ludique et colorée rappelant l’esthétique Memphis, dans laquelle les plus jeunes s’immergent à loisir. Longtemps inclassable, le couple commence à être médiatisé.

À la Galerie Party, au Centre Pompidou, les enfants découvraient un jardin fantastique imaginé par GGSV.
À la Galerie Party, au Centre Pompidou, les enfants découvraient un jardin fantastique imaginé par GGSV. Michel Giesbrecht

Premiers designers français à collaborer avec Gufram, ils ont présenté à Milan, en avril dernier, des tapis flashy XXL inspirés des années disco. Lauréats de la Villa Médicis, ils vont s’installer à Rome avec leurs trois enfants en septembre et travailler sur la peinture, les faux-semblants et les trompe-l’œil, thèmes récurrents de leurs scénographies. « On va avoir du temps, c’est une denrée rare », se réjouissent-ils.

Tapis Disco (Gufram, 2018).
Tapis Disco (Gufram, 2018). Leonardo Scotti

En 2019, ils signeront avec les architectes h2o le réaménagement du musée d’Art moderne de la ville de Paris pour lequel a été imaginé un « mobilier fantôme », qui s’efface pour laisser toute leur place aux œuvres. Avec h2o, ils viennent d’être sélectionnés parmi les douze lauréats du concours « FAIRE 2018, accélérateur de projets de design urbain » avec « Bossage », leur élégant rocher antivoiture bélier en pierre taillée qui se fond dans les façades haussmanniennes. Pour réinventer la ville de demain, on peut désormais compter sur GGSV.

« Galerie Party », une installation qui s’est déployé en trois temps à la Galerie des enfants du Centre Pompidou. Ici, l’« Acte II ».
« Galerie Party », une installation qui s’est déployé en trois temps à la Galerie des enfants du Centre Pompidou. Ici, l’« Acte II ». Studio GGVS