Quelle fut votre réaction lorsque vous avez vu des images d’Anja Niemi pour la première fois ?
En 2016, lors de la foire Photo London, j’ai été immédiatement happée par son questionnement sur les sentiments et les humeurs des femmes. Ce qui m’a marqué, c’est le fait qu’elle travaille en solo, sans aide. Mais aussi qu’elle soit l’actrice de ses histoires, qui laissent transparaître une grande solitude et un immense silence.
Quand l’avez-vous rencontrée ?
Nous avons croisée Anja à Paris Photo l’an dernier. Sa galerie londonienne, The Little Black Gallery, a facilité notre entrevue. Anja nous a expliqué ouvertement son travail, ce qu’elle veut exprimer : comment elle élabore et écrit ses scénarios, dans lesquels elle se met ensuite en scène, le canevas précis de ses recherches minutieuses sur les lieux et leur atmosphère. Elle se prépare à la fois comme un metteur en scène et comme une actrice puisqu’elle joue tous les rôles. Une fois sur le « décor », elle suit son script à la lettre.
Et vous, que lui avez-vous demandé ?
Elle était en phase de planification de sa série « She Could Have Been A Cowboy ». Jasper et moi avons souhaité savoir combien d’images Anja comptait faire, celles qu’elle projetait de produire éventuellement en plus, la taille des photos, les techniques de cadrage et d’impression qu’elle allait employer. Nous avons étudié avec elle les parties du récit qui méritaient peut-être un approfondissement.
Pourquoi défendre son travail dans votre galerie ?
L’élégance de ses images, ses histoires rêvées et leur fabrication incroyable, la mise en scène très léchée nous ont complètement séduits. Comment ne pas l’être ? J’adore le décor des lieux où elle déroule ses sujets.
Comment décririez-vous son univers ?
Il y a évidemment l’esthétique des décors 50’s et 60’s quasi hollywoodiens où l’on retrouve ses passions : la danse, le cinéma et le théâtre. Elle recompose des univers qui donnent une sensation de passé un peu fané, un environnement bourgeois désuet et cela ajoute à l’élégance de ses compositions. Ensuite, Anja Niemi tente de s’expliquer la nature féminine : famille, relation aux autres, solitude, dualité, besoin d’indépendance. Elle se cherche aussi des héros, comme dans « She Could Have Been A Cowboy » ou « Starlets ». À la fois photographe, metteuse en scène et actrice de ses propres images, Anja crée ses séquences par étapes narratives, où s’immisce également une forme d’humour.
À votre avis, de quels artistes serait-elle proche ?
Il n’y a pas de photographe dont l’univers est proche du sien, même si on la compare parfois à Cindy Sherman, laquelle ne crée pas d’histoires à travers des séries de douze photos et ne travaille pas seule…
Ses origines norvégiennes influencent-elles ses images ?
Je pense que la solitude est un sentiment très norvégien. Les paysages de ce pays rude sont immenses et l’on peut s’y sentir perdu. De même, il y a quelque chose dans le traitement de la lumière, claire, presque transparente, qui offre des contrastes étonnants.
Comment évolue son travail ?
Sur ses prochains scripts, la sophistication reste omniprésente. Bien sûr son ques- tionnement sur le rôle des femmes dans la société évolue. Ses narrations deviennent d’autant plus fines qu’elle maîtrise de plus en plus les procédés. C’est un aspect évidemment très important lorsque, comme elle, on œuvre entièrement seule !
> « She could have been a cowboy » chez The Ravestijn Gallery. Westerdoksdijk 603-A, 1013 BX Amsterdam, Pays-Bas. Tél. : +31 20 530 6005. Jusqu’au 27 octobre 2018.