Le 26 décembre 2004, l’un des tsunamis les plus meurtriers jamais enregistrés dans le monde s’abat sur l’Indonésie, le Sri Lanka, la Thaïlande et l’Inde. En hommage aux milliers de victimes de cette catastrophe naturelle, Subodh Gupta crée Very Hungry God, un crâne monumental formé d’une tonne de vaisselle en Inox. Décrite par Camille Morineau, commissaire de cette exposition et directrice artistique de la Monnaie de Paris, comme « une œuvre spectaculaire mais pas décorative au mauvais sens du terme », Very Hungry God symbolise à merveille le travail du plasticien qui utilise des objets emblématiques du quotidien pour retracer l’histoire de son pays.
Né en 1964 dans l’État du Bihar, l’une des régions les plus pauvres de l’Inde, Subodh Gupta grandit dans un village où l’art se résume aux images sacrées et aux pièces de théâtre données par des troupes de passage. À 19 ans, il s’inscrit à l’école des beaux-arts de Patna où, cinq années durant, il apprend la peinture, avant de s’intéresser à d’autres disciplines comme la sculpture, la vidéo, la photographie et la performance. Ce sont toutes les facettes de son œuvre, jusqu’à ses plus récentes explorations autour du son, qui sont présentées à travers 130 pièces disséminées dans les salons historiques du 11, quai de Conti. Casseroles ou bidons de lait, Subodh Gupta transforme les objets ordinaires en pièces d’art. Une démarche inspirée par Marcel Duchamp dont il s’approprie la version de La Joconde – Mona Lisa arborant une moustache et un bouc –, le fameux L.H.O.O.Q., peint par l’inventeur du ready-made en 1919. Sa réplique, un bronze intitulé Et tu, Duchamp? (acquise par l’un de ses plus fidèles collectionneurs, François Pinault), démontre la liberté avec laquelle Subodh Gupta aborde l’histoire de l’art occidentale.
« C’est aussi aux mouvements dada et surréaliste qu’il emprunte le procédé du trompe-l’œil », précise Camille Morineau. La sculpture posée sur une table en bois, et imitant de la pâte à pain (Atta, 2011), est un parfait exemple de la façon dont Subodh Gupta interroge l’objet tout en affirmant la dimension spirituelle de l’alimentation. » Car, pour le plasticien, la nourriture du corps est inextricable de celle de l’âme. Non seulement les repas sont accompagnés de rites, mais chaque maison est pourvue d’autels voués à certaines divinités (Krishna, le dieu de l’Amour, Lakshmi, la déesse de la Beauté et de l’Intelligence…) auxquelles les occupants fournissent riz, fruits et eau. En témoigne la vidéo Spirit Eaters dans laquelle trois hommes vêtus de blanc et assis en tailleur ingèrent d’énormes quantités d’aliments afin de nourrir l’âme du défunt.
Les objets industriels, comme les lunch boxes de Faith Matters, interpellent également sur la modernité de l’Inde (qui serait, aujourd’hui, la cinquième puissance économique mondiale) et sur le problème de la faim. En effet, l’apparence luxueuse du contenant, rutilant, s’oppose bien souvent au contenu, vide, en raison de l’importante pauvreté de la région. En outre, l’accumulation de ces boîtes de métal dessine une mégapole (qui évoque l’évolution de la population des grandes villes) tandis que leur équilibre précaire dénonce un pays aujourd’hui tiraillé entre vie rurale et vie urbaine. Uniquement spectaculaire, l’œuvre de Subodh Gupta ?
« Subodh Gupta – Adda / Rendez-vous ». À la Monnaie de Paris, 11, quai de Conti, 75006 Paris, jusqu’au 26 août.