A la sortie de Marseille, la calanque de l’Escalette se remarque à peine. D’un côté de la route, un minuscule port privé serti autour d’une crique ; de l’autre, un chemin au goudron usé mène au portail en bois d’une usine décatie. Bienvenue chez Eric Touchaleaume ! Spécialisé dans le mobilier et les architectures légères d’après-guerre, ce galeriste parisien aux solides attaches marseillaises a racheté en 2010 ces 3 hectares de terrain rocailleux. Après des années de nettoyage de ce qui fut un site industriel au XIXe puis une décharge sauvage, son rêve a pris forme : au milieu des ruines de l’usine édifiée à flanc de coteaux en 1850, il a installé des sculptures et des maisons de Jean Prouvé. Quant à la végétation méditerranéenne, elle reprend peu à peu ses droits et s’immisce partout : du romarin, des cactus, des bougainvilliers, des figuiers…
Prouvé, Le Corbusier, Perriand et Jeanneret : les quatre mousquetaires du modernisme à la française sont au cœur de l’activité d’Eric Touchaleaume et ce sont eux qu’il a voulu mettre en avant dans ce musée en plein air qui propose également une balade dans la friche parsemée de sculptures chères au galeriste et généralement issues de la même période de l’après-guerre…
Cet été, la Friche de l’Escalette présente deux pavillons mobiles conçus par Jean Prouvé, deux bâtiments centraux dans l’histoire de l’architecture contemporaine. Le premier, un modèle dit 6 x 9, a été dessiné dans l’immédiat après-guerre pour héberger les Lorrains dont les maisons avaient été détruites par les bombardements. Grâce à sa colonne vertébrale en tôle pliée, le matériau fétiche de Jean Prouvé, elle pouvait être déployée en quelques jours seulement et certaines personnes y ont vécu toute leur vie durant. Elle peut à ce titre être considérée comme l’ancêtre des maisons préfabriquées. A l’intérieur, sous la structure en aile d’avion, le galeriste a installé un bureau du studio de Pierre Jeanneret et Le Corbusier à Chandigarh et une sculpture de Parvine Cury.
L’ambiance est radicalement différente dans le second pavillon, conçu pour accueillir des écoles au Cameroun (1962). D’emblée, l’ambiance y est plus fraîche grâce à l’ingéniosité des panneaux latéraux en aluminium qui, en plus de leurs inoxydables qualités esthétiques, compriment l’air avant de le propulser à l’intérieur, créant ainsi une ventilation naturelle très efficace même sous le soleil du Midi. La quasi-totalité des éléments architecturaux sont d’origine, notamment les portes sur glissière entièrement réalisées en bois dur. Sur le plancher en wengé, Eric Touchaleaume a disposé une table de Jean Prouvé réalisée pour sa Maison tropicale de Niamey (circa 1957) et deux fauteuils compas de Pierre Jeanneret, tous parfaitement à leurs aises dans ce décor simple et épuré.
Pour faire vivre ces architectures légères, Eric Touchaleaume projette d’aménager leurs intérieurs en 2019. L’un sera équipé avec des éléments modulaires (cuisine, salle de bains…) de grands designers de l’époque comme Charlotte Perriand. L’autre sera aménagé par un architecte d’intérieur contemporain. Mais n’attendez pas 2019 pour découvrir ce lieu extraordinaire et hors du temps.
> Friche de l’Escalette. Route des Goudes, impasse de l’Escalette, 13008 Marseille.
> Visites gratuites organisées quatre fois par jour, 7 jours/7, en petits groupes (jusqu’à 15 personnes). Renseignements ici