Vous avez présenté à Rennes en 2016 l’exposition « Rêveries urbaines », des projets d’urbanisme dotés d’une dimension très poétique, quasiment déconnectées de la réalité. Pourtant, deux ans plus tard, ces œuvres ont donné naissance à des projets bien tangibles. Que ressentez-vous en voyant ces maquettes prendre vie ?
Ronan Bouroullec : Je ressens une certaine frustration à dédier notre travail uniquement à un public fortuné ! Je fais ce métier pour que mes créations puissent être partagées de la manière la plus vaste possible. Le problème est que si l’on nourrit des exigences sur la qualité de fabrication et sa localisation, il devient difficile de réussir à produire à des prix grand public… Penser des projets urbains, dont tout le monde peut profiter, permet de contrer cette frustration.
Quel était le but de cette exposition ? Vous lancer véritablement dans l’urbanisme ou simplement engager des réflexions à plus grande échelle ?
Faire des projets pour faire des projets ne m’intéresse pas! Si nous avons baptisé cette exposition « Rêveries urbaines », ces dernières ont toujours été des rêveries pragmatiques. Chaque proposition offrait une idée assez précise de la possibilité d’une réalité constructive. Ce qui m’a surpris, c’est que tout est allé assez vite : ces maquettes sont rapidement devenues des projets dans les villes. Je ne m’attendais pas à un tel succès.
Comment a-t-elle essaimé ?
L’exposition voyage beaucoup. En ce moment, elle est à Hong Kong avant l’école polytechnique de Lausanne tandis que certains projets ont déjà été construits. Une pergola à Miami, un banc circulaire à Aarhus et d’autres projets en cours à Rennes et à venir à Poitiers et Bordeaux.
D’où est venue l’idée du Ruisseau, installé ici ?
L’idée vient de ma fille et de mon enfance à la campagne. J’ai passé beaucoup de temps à m’amuser dans les ruisseaux et ma fille fait la même chose en jouant avec des tickets de métro dans les rigoles de la ville… La suite s’est faite naturellement… A l’origine, cette fontaine était plus sinueuse, ce qui ne se justifiait pas dans ce contexte. Hier, alors que perçaient quelques rayons de soleil, voir les enfants du quartier jouer ici m’a mis en joie. Ils ont compris instinctivement notre idée du ruisseau, en mettant une branche ou une fleur et en la laissant naviguer. Au début, je pensais même dessiner des petits pliages et les mettre à disposition des visiteurs. L’eau possède un coté joyeux.
Votre banc Ring a d’abord été développé à Aarhus et maintenait ici, chez Vitra, dans un tout autre contexte. A-t-il vocation à devenir un élément de mobilier urbain générique ?
Il n’y a rien de plus générique que cet anneau, donc pourquoi pas l’imaginer ailleurs ? Même si je souhaite conserver cette relation à l’arbre et cette galvanisation du métal qui fonctionne bien avec le côté rural. Néanmoins, nous n’avons pas encore trouvé la bonne économie de cet objet. Est-ce pour les collectionneurs ou est-ce qu’on s’associe avec un fabricant en série ?
Prévoyez-vous de dessiner davantage de projets d’urbanisme ?
Avec ce projet, nous mettons les doigts dans une échelle et une méthode de fabrication bien différentes que ce que nous avons l’habitude de produire. Nous collaborons avec un fabricant qui a une logique industrielle et qui est soumis à des normes auxquelles nous ne sommes pas habitués. Cela dit, oui, nous avons d’autres projets d’aménagement dans lesquels nous essayons d’intégrer de l’eau.
A quoi ressemble, selon vous, la ville du futur idéale ?
Je n’ai pas d’idée précise mais je peux parler des manques que je ressens et qu’il faudrait combler. La ville est pensée de manière très productive : sa fluidité, son efficacité sont nécessaires mais pas suffisantes. Il faut repenser les espaces libres qui créent du lien et qui sont sous-estimés aujourd’hui. Penser la flânerie, le lien social et la question de la nature dans la ville, si mal traitée jusqu’à maintenant et pourtant essentielle.