Design story : Damned, on a retrouvé Peter Ghyczy !

Des lignes épurées et fonctionnelles au service d’un style inoxydable et chaleureux… Tel est Egg, l’autre œuf culte du design, un siège en polyuréthane dessiné en 1968 par le Hongrois Peter Ghyczy. Quarante ans plus tard, IDEAT est retombé presque par hasard sur le designer.

« On parle aujourd’hui de designer stars, de top designers ou de designers de l’année. Ne serait-il pas plus pertinent de leur décerner le prix du designer le plus intelligent ? » Gentleman s’il en est, Peter Ghyczy ne mâche pas ses mots. Mais qui est l’homme qui tient de tels propos ? C’est une longue histoire…

Le fauteuil Egg de Peter Ghyczy (1968).
Le fauteuil Egg de Peter Ghyczy (1968).

Il y a cinq ans, en pleine recherche d’une icône du design à faire partager aux lecteurs d’IDEAT, le siège Egg de 1968 s’impose. Tout amateur l’a déjà vu : c’est celui dont le dossier se rabat pour le fermer comme un poudrier géant. A l’époque, il a d’abord été fabriqué en Allemagne de l’Est mais quand on s’est mis en tête d’en savoir plus, l’enquête nous a menés aux Pays-Bas. On a alors découvert que Peter Ghyczy éditait toujours lui-même son icône. Etrange, cette idée d’un designer indépendant devenu producteur d’un siège aussi bien fini que s’il sortait de chez un industriel.

Le fauteuil Safari de Peter Ghyczy dans sa version chêne clair et velours bordeaux.
Le fauteuil Safari de Peter Ghyczy dans sa version chêne clair et velours bordeaux.

Puis en septembre dernier, lors de Bruxelles Design September, on tombe sur un showroom un soir de cocktail… Dans la vitrine, un fauteuil tendu de velours attire tout de suite notre attention : constitué de deux plans inclinés, assise et dossier, suspendus dans l’air par des pieds d’acier tubulaires reliés à des accoudoirs en bois. Les intersections du cadre sont aussi esthétiques que fonctionnelles. Du grand art… Style international ? Fonctionnalisme ? Réédition ? Pas d’étiquette…

Mais le Safari existe aussi en rose et wengé…
Mais le Safari existe aussi en rose et wengé…

Un homme nous aborde. Très chic, jeune, affable, moderne mais avec un je-ne-sais-quoi de courtoisie obligeante dans le maintien qui suggère une politesse d’un autre âge. Non, ce n’est pas une réédition, le fauteuil Safari et sa déclinaison lounge sont des nouveautés. Leur designer ? Peter Ghyczy ! Au moment où l’Egg chair de 1968 surgit dans l’échange, le raccourci est fulgurant. Comment passe-t-on de ce fauteuil vite jugé très pop seventies à ce néo-fonctionnalisme contemporain ? Comment fait-on pour durer dans le design en étant à la fois inventeur, éditeur et producteur et sans faire les gros titres des magazines ?

Peter et Felix Ghyczy.
Peter et Felix Ghyczy. Lydie Nesvadba

Dans l’échange qui suit, on comprend que le designer travaille depuis 2001 avec son fils Felix. « Eh, vous vous êtes ? », demande-t-on par politesse à retardement. « Je suis Felix ! » La singularité du profil de Peter Ghyczy se précise : il a son atelier à côté de sa belle demeure, où ses objets d’arts dialoguent avec ses créations modernistes.

Dans sa maison du sud des Pays-Bas, Peter Ghyczy a bien entendu conservé un exemplaire de sa Egg Chair…
Dans sa maison du sud des Pays-Bas, Peter Ghyczy a bien entendu conservé un exemplaire de sa Egg Chair… Lydie Nesvadba

Comme tout le monde, Peter Ghyczy est l’homme d’un milieu et d’une époque… Européen par excellence, il est né en Hongrie mais vit aujourd’hui en Hollande avec un passeport allemand. Après la Seconde Guerre mondiale, fuyant avec sa famille aristocratique la République populaire de Hongrie, il passe le Rideau de fer et s’installe en Allemagne de l’Ouest pour étudier l’architecture. En 1968, le jeune homme travaille dans l’industrie chimique où le polyuréthane incarne l’avenir. Mais à 30 ans, il monte son entreprise. Jusqu’à aujourd’hui, elle repose entièrement sur ses idées et innovations.

Chez lui, Peter Ghyczy expose aussi des meubles de sa création plus récents comme ce canapé baptisé GP02.
Chez lui, Peter Ghyczy expose aussi des meubles de sa création plus récents comme ce canapé baptisé GP02.

Peter Ghyczy tient à la fois de l’ingénieur et de l’esthète. La fonctionnalité est tout autant son souci que l’esthétique. Il dessine aujourd’hui encore des tables et des étagères en verre dont le néophyte peut aussi apprécier l’intérêt parce que leurs détails sont beaux.

Détail d’assemblage du fauteuil Safari qui révèle autant l’ingénieur que l’esthète.
Détail d’assemblage du fauteuil Safari qui révèle autant l’ingénieur que l’esthète.

Il habite à Swalmen, dans le sud des Pays-Bas, juste à côté de son atelier où est fabriqué le fauteuil Egg, toujours aussi moderne dans sa version mise à jour en 1998. Autour de cette icône du design, un univers complet de tables, chaises, lampes, étagères, canapés et sofa s’est développé, entrecoupé de batailles remportées contre des contrefacteurs.

Outre son mobilier, Peter Ghyczy est l’auteur de nombreuses œuvres d’art qui parsèment son intérieur.
Outre son mobilier, Peter Ghyczy est l’auteur de nombreuses œuvres d’art qui parsèment son intérieur.

Avec son fils Félix, aujourd’hui directeur général et directeur artistique, ils rappellent dans la cacophonie ambiante certaines vertus universelles du design. Il leur suffit pour cela de montrer leurs créations sans chichis sur les salons professionnels du monde entier. Parce que Peter Ghyczy n’est pas un dinosaure. Même quand il créait les meubles de sa chambre d’étudiant, il baignait déjà dans la modernité du XXe siècle à partir de laquelle se font le présent et le futur du design.

A lire : Peter Ghyczy, the Evolutioner de Bernd Poster, éditions Dumont, 2010. En anglais et en allemand. ISBN 978-3-8321-9306-5. www.ghyczy.com