Après un accrochage ultra mondain dédié à la photographe Annie Leibovitz, la fondation Luma accueille jusqu’au printemps douze bâtiments de Jean Prouvé autour d’un sujet cher à sa mécène, Maja Hoffmann : « Celui de la migration et du regard que l’on peut porter sur ce phénomène. Après guerre, l’architecture de Jean Prouvé a abrité beaucoup de familles… » Ou du moins, elle a tenté de le faire malgré les obstacles administratifs, comme le rappelle la scénographie très claire de Matthieu Humery, directeur du programme, qui a joint des vidéos, photos et maquettes de projets non réalisés pour compléter ces architectures historiques.
L’exposition « Jean Prouvé architecte des jours meilleurs » rassemble sur le site de la Fondation douze maisons démontables réalisées par « le Ferronnier de Nancy ». Un accrochage purement architectural puisqu’ici, aucun meuble n’est montré. « On est loin de la déco… », s’en amuse la fondatrice de Luma.
Huit de ces édifices sont montrés dans l’ancien atelier de fonderie de la SNCF, rénové par Annabelle Selldorf, les quatre autres sont dispersés à l’extérieur et se fondent dans le décor post-industriel de la fondation. Des maisons fabriquées dans une usine aujourd’hui exposées dans une usine : la boucle est bouclée ! Car ces architectures ont été réalisés dans les Ateliers Prouvé grâce à un procédé de pliage de l’acier, une technique sur laquelle il a fondé toute sa carrière.
L’exposition démarre avec la maison BCC, son premier projet démontable. Pensé en pleine guerre alors que le métal était rare, il est le seul à utiliser principalement le bois.
Un peu plus loin, la Maison des jours meilleurs a été conçue après l’appel de l’abbé Pierre de l’hiver 1954 pour loger les sans-abris de l’Hexagone.
« Malgré le titre de l’exposition, qui est en réalité une périphrase, Prouvé ne s’est jamais revendiqué architecte, ni ingénieur d’ailleurs », rappelle le critique Mark Wigley. « Pour lui, l’architecte dessinait mais ne fabriquait pas tandis que l’ingénieur fabriquait mais ne dessinait pas. Lui se voyait entre les deux. »
La réunion rare de ces 12 chefs-d’œuvre permet de vérifier cette posture entre-deux. Certains appartiennent à Maja Hoffman, qui les a achetés au galeriste parisien Patrick Seguin. Ce dernier a prêté certains des projets exposés et s’est associé à l’exposition. Si certains ont pu s’offusquer de l’indécence de cet étalage de pavillons désormais inaccessibles (et dont l’exposition peut potentiellement faire grimper la cote), il faut rappeler que sans l’intérêt de ces acteurs pour Jean Prouvé, son œuvre serait restée dans l’ombre, à l’abandon, voire détruite.
Car ces maisons démontables constituent les seules traces de la production de ce visionnaire méprisé de son vivant mais dont les préceptes continuent d’inspirer les architectes partout à travers le monde. Sa Maison des jours meilleurs n’a jamais pas vu le jour à cause de contraintes réglementaires. Alors où est l’indécence ? Dans le fait de spéculer sur une poignée de pièces historiques ou ne pas développer de politique d’habitat d’urgence digne de ce nom ? Le jour de l’inauguration, Le Monde faisait sa Une sur « Ces 570 bidonvilles que la France ne veut pas voir », montrant combien ce sujet était toujours aussi prégnant.
« Jean Prouvé, Architecte des Jours Meilleurs » à la Fondation Luma. 45, chemin des Minimes,
13200 Arles. Du mercredi au dimanche, de 11 heures à 18 heures. Jusqu’au printemps 2018.
Légende :
La spectaculaire école de Bouqueval (Val d’Oise) est un autre témoignage du savoir-faire en matière de traitement de l’acier.