Tristan Auer naît à Metz, dans un milieu aisé, mais sans plus. Puis il part pour Aix-en-Provence au moment du divorce de ses parents. Pas facile à vivre, surtout lorsqu’on est fils unique. « J’ai été élevé par des femmes », raconte l’architecte d’intérieur et designer, « c’est sans doute ce qui explique que mon ambition n’est pas obsessionnelle et que je n’ai pas l’âme d’un tueur. » Dans les années 90, nouvel envol, cette fois pour la capitale. Il s’inscrit à l’école Penninghen (ESAG) au grand désespoir de ses parents. « Dans ces années-là, être architecte d’intérieur était presque ringard. Si j’ai fait Penninghen, c’est pour étudier la transformation des volumes et leur incidence sur le comportement humain. Car tout dessin est un acte social, culturel et politique. » Toujours parisien aujourd’hui, Tristan Auer vit à Pigalle avec sa femme et ses deux enfants et collectionne les voitures anciennes (Alvis, Delage, Aston Martin…).
Ses rêves d’enfant ? Une maison idéale, déjà. « Notre créativité se décide en fonction de ce que l’on a vécu entre 7 et 8 ans », explique-t-il. Aujourd’hui, il songe à une pièce toute noire, « pour la non-couleur, le repli, le calme ». La foi ? Oui, en une manière de se comporter, en une éthique qui diffuserait un message apaisant, une morale issue de ses lectures favorites, celles de l’agriculteur et essayiste Pierre Rabhi. « Je crois en l’avenir, dit-il. Je suis heureux de ce que je fais et n’ai jamais pris un projet pour l’argent ou la reconnaissance, mais plutôt pour les rencontres. »
L’ennui ? Il ne connaît pas, surtout depuis qu’il a monté son agence en 2002, après avoir été remercié de celle de Philippe Starck, où il avait passé quatre ans après deux ans chez Christian Liaigre. Depuis 2002, parallèlement aux chantiers privés et publics, au mobilier et aux luminaires qu’il dessine, ce grand anxieux adore se remettre en question – et en danger ! Les projets atypiques dans lesquels il se lance avec la même passion le prouvent : consulting en œuvres d’art et en design de vêtements, création de nouveaux concepts ou d’un laboratoire.
Avec Maison & Objet, c’est la consécration, tout en gardant les pieds sur terre. D’où le bar qu’il a conçu au centre du stand qui lui est consacré pour présenter son travail : « Non seulement pour rendre le lieu convivial, mais surtout pour montrer que mon métier ne se résume pas à dessiner un restaurant, un hôtel, une maison, mais aussi de l’objet, un habitacle. » La démonstration se poursuit avec l’habillage de l’intérieur d’une Ferrari 308 GT4 de 1978. « Ce stand est une vitrine pour raconter mon parcours, décrire mon métier qui consiste parfois à réaliser une séquence de film. Pour dire également ce que signifie l’art de vivre aujourd’hui et expliquer d’où vient l’inspiration. » Dans son cas, essentiellement des magazines de mode ou d’ouvrages qui cultivent une certaine forme d’« inesthétique » : « Je me suis toujours méfié de mes goûts. Je ne lis jamais la presse déco car c’est souvent contre-productif. La mode est plus futile, plus légère, plus saisonnière et, du coup, plus inspirante. »
Pour l’Hôtel de Crillon, relooking du rez-de-chaussée. Trois semaines de dessin, cinq mois d’échanges pour faire du lieu un palace différent des autres grandes adresses de la capitale. C’est-à-dire un rendez-vous très parisien, nanti d’une nouvelle notion de service, afin de faire de chaque séjour une expérience unique. « La décoration s’est faite en fonction de ces paramètres, explique-t-il, et notamment à partir des plans de 1909, l’année de la rénovation de ce lieu qui s’appelait à l’origine L’Hôtel des Voyageurs. » Il y a ajouté un espace exclusivement masculin, un barbier, un cigare lounge (L’Étincelle), un salon cireur, un boudoir (pour la dégustation de spiritueux) et un salon de coiffure. Il a même réaménagé l’intérieur d’une DS qui est devenue la limousine du palace. Le tout a été élaboré avec la fine fleur de l’artisanat d’art français.
Autre grande réussite, l’hôtel Les Bains, lieu mythique des nuits parisiennes des années 80, pour lequel il remporta le concours sans sombrer dans le pastiche. « C’était le rêve de nombreuses agences de se voir confier ce chantier. Le budget un peu court nous a contraints à nous creuser les méninges pour travailler sur une nouvelle idée du luxe. » Résultat : les récompenses pleuvent. Son avenir ? Des villas à Saint Barth’, l’Hôtel Scribe à Paris, des hôtels à Dubaï et sur l’île Moustique, sans oublier le mythique Carlton à Cannes qui sera traité dans un esprit Riviera-Grace Kelly, un chantier gagné en présentant une composition de feuilles et de fleurs aux tonalités rose et gris poudré. Une grande attention sera portée au dressing, pensé comme une loge de théâtre, « car au Carlton, on se montre, on se change plusieurs fois par jour. Il est important de penser les lieux en fonction des histoires qu’ils enferment », conclut-il.