On dira ce que l’on veut, Godard a toujours eu le sens du repérage… Deux ans après le Mépris et la Villa Malaparte, le réalisateur baladait sa caméra à Hyères dans le Var, imprimant les images de Pierrot le Fou sur cette parcelle de Côte d’Azur tellement intemporelle qu’elle ressemble encore, cinquante ans après, à un paradis perdu. Ferdinand-Belmondo et Marianne-Anna Karina se promenaient sur les plages de Porquerolles, mais aussi sur celles de l’Aygade où David Pirone, propriétaire du restaurant iconique Le Marais Plage, passait ses vacances, enfant.
Revenu dans la région des années plus tard, l’entrepreneur retrouve sa petite Madeleine : la Reine Jane. L’hôtel n’a pas changé d’un cil, avec sa façade blanche, son toit-terrasse, ses pans coupés et son enseigne indigo. Il est à vendre. L’entrepreneur l’achète, avec le désir de n’en rien changer. Ou presque. « C’est en déjeunant avec Jean-Pierre Blanc, directeur de la Villa Noailles, que nous avons fait le pari un peu fou de confier la nouvelle déco, non pas à un designer mais à autant de designers qu’il y a de chambres ! », raconte le nouveau propriétaire. « J’ai tout de suite trouvé ce parti pris radical enthousiasmant » confie de son côté Jean-Pierre Blanc, qui ouvre chaque année les portes de la villa signée Mallet-Stevens à la nouvelle génération de designers.
A peine Jean-Pierre Blanc a-t-il ouvert son carnet d’adresses que les designers répondent. 13 OK en une semaine ! Lorsque François Azambourg, Inga Sempé ou Constance Guisset visitent les lieux, la Reine Jane est en pleine « demolition party ». Tous sont séduits par ce bâtiment immaculé trônant sur un port miniature. Sur son flanc, à perte de vue, l’une de ces larges plages à l’italienne où l’on ne serait pas étonné de voir perché le photographe Massimo Vitali.
Les artistes auront un mois pour rendre leur copie, un budget et une surface modestes. « Ce sont les contraintes qui sont stimulantes dans ce genre d’exercice », s’amuse François Azambourg. En revanche leur liberté est absolue et ils ne vont pas s’en priver. Au final, cet hôtel « collaboratif » forme un parcours méditerranéen iconoclaste, un peu provocateur. Une chambre conçue comme une cabine de bateau, une autre comme une maison grecque, celle-ci colonisée par des concrétions de liège, l’autre par une joyeuse fresque de céramique, ici, un all over bleu outremer, là une mosaïque vert émeraude…
Ces quatorze singulières cellules à habiter intègrent la Reine Jane au jeune club des hôtels où l’on passe plus de temps dans les parties communes qu’enfermé chez soi, à l’image des Mama Shelter ou des 25Hours. Difficile de résister au salon dont les baies vitrées s’escamotent complètement, ouvrant grand sur le port et la terrasse avec son mûrier platane centenaire…
Au rez-de-chaussée, un impressionnant plateau de marbre rose fait office de desk, de bar et de comptoir pour le petit-déjeuner. Le restaurant et son écailler attirent le soir les beautiful people du coin. Au sommet des escaliers, le toit-terrasse offre une vue époustouflante sur la mer, les Îles d’Or, les baigneurs et même la Villa Noailles, tout là-haut. Ce rooftop est, nuit et jour, le cœur battant de l’hôtel. A l’heure du petit-déjeuner ou du brunch, pour y siffler quelques huîtres au coucher du soleil, boire des américanos sous les étoiles en dansant le slow sur Procol Harum…
La mer, le soleil, les nuages : on vient à La Reine Jane avec un paréo, des sandales et basta. On flâne sur le petit port et l’on garde de son séjour, comme Anna Karina, des souvenirs qui « ne se disent pas avec des mots mais avec des sentiments ».
La Reine Jane. Port de L’ayguade, 1, quai des Cormorans. Tél. 04 94 66 32 64. lareinejane.fr
Chambres signées par : François Azambourg , Bless, Antoine Boudin, Julien Carretero, Sébastien Cordoleani, Cameranesi Pompili, Thomas Defour & Antoine Grulier, Jean-Baptiste Fastrez, Laureline Galliot & Mathieu Peyroulet, Constance Guisset, Claire Lavabre & Adrien Goubet, Odd Matter, Julien Renault & Amaury Caeyman et Inga Sempé.