C’est à une exposition peu commune que nous convie le MaMo (Marseille Modulor) cette année. Perché sur le toit de la Cité Radieuse de Le Corbusier, ce centre d’art lancé par le designer Ora-ïto en 2013 invite chaque été un artiste à habiller la terrasse d’une ou plusieurs œuvres. Après les illusions d’optiques de Felice Varini en 2016, cette 5e édition célèbre Jean-Pierre Raynaud, un artiste qui a consacré sa vie à une œuvre faite de rêves et d’obsessions…
Né en 1939 et reconnu en tant qu’artiste majeur depuis les années 1960, Jean-Pierre Raynaud est devenu célèbre dans le monde entier avec ses pots de fleurs monumentaux et colorés emplis de ciment, des objets qui feront le tour du monde et qu’il déclinera inlassablement en variant les couleurs et les dimensions. D’autres formes sont l’objet d’une véritable obsession : la flèche, transposée de manière monumentale cet été sur la terrasse de la Cité Radieuse. Imaginée pour être observée du ciel, « par les oiseaux » dixit Jean-Pierre Raynaud, ce signe universel devient une pure affirmation du moi de l’artiste en désignant au firmament l’espace du gymnase où est exposée une sélection de ses œuvres.
À l’intérieur de cet espace aux murs d’un blanc presque aveuglant, les œuvres du plasticien semblent avoir été déposées là comme des offrandes : sculptures totémiques que Raynaud conçoit comme des autoportraits, sens interdits tronqués géants (un autre symbole prisé par l’artiste)… Mais surtout de petits containers renfermant les débris de la « Maison » de Jean-Pierre Raynaud entièrement carrelée de céramique blanche, son œuvre emblématique qu’il a habitée dans une solitude presque totale pendant 24 ans et qu’il a détruite en 1993 car, dit-il, « la beauté avait atteint son paroxysme ».
Les pièces de l’exposition se mêlent aux lignes puissantes de Le Corbusier sans pour autant provoquer de confrontation. Au départ, Jean-Pierre Raynaud a pensé refuser l’invitation d’Ora-ïto, arguant que « ce lieu se suffit à lui-même », avant d’accepter après avoir trouvé l’idée adaptée. Le Corbusier impressionne… Pour dialoguer avec la structure absolue et presque totalitaire du bâtiment, une œuvre mûrie et à la personnalité forte s’imposait… Pour Ora-ïto, « avec Le Corbusier, la rencontre peut tourner soit au match de boxe, soit au dialogue… » C’est là toute la réussite de Raynaud qui se dit modestement « invité par Le Corbusier » et parvient à investir la Cité Radieuse dans une volonté de rencontre, sans heurter l’esprit présent.
« Ici », par Jean-Pierre Raynaud, jusqu’au 1er octobre 2017, MAMO Centre d’art de la Cité Radieuse, Marseille. (Entrée gratuite).
La Cité Radieuse : une révolution de l’habitat
Que l’on évoque sa vie ou son œuvre, Le Corbusier ne laisse pas indifférent, la Cité Radieuse non plus… Edifiée à Marseille, en 1952 dans l’immense chantier qu’est la France après la Seconde Guerre mondiale, elle inaugure la série d’immeubles dits « Unités d’habitation » et incarne les principes modernes de Le Corbusier en architecture dont l’élévation sur pilotis, le toit-terrasse plat, la fenêtre en bandeau, la suppression de murs portants et la façade libre.
Un appartement témoin, qui a été maintenu dans son état d’origine, permet de comprendre la révolution que représente la Cité Radieuse pour l’habitat. L’espace est à taille humaine, au sens propre puisque Le Corbusier a utilisé le Modulor, une mesure étalon dérivée du nombre d’or, qui ordonne les proportions du corps humain. Tout dans cet appartement duplex vise à faciliter le confort : agencement efficace des pièces, cuisine équipée (de meubles de Charlotte Perriand…), rangements pratiques…
Pionnière à bien des égards, ayant suscité critiques et incompréhensions et encore surnommée « la Maison du fada » à Marseille, la Cité Radieuse est classée monument historique depuis 1986 et semble avoir trouvé une nouvelle jeunesse avec le MaMo.
Pour en savoir plus : fondationlecorbusier.fr