« Dès que je vois se profiler une exposition de tirages, j’essaie toujours d’y échapper. Je ne sais pas pourquoi ! » Ne vous méprenez pas, Dominique Issermann apprécie le travail des autres photographes… mais dans un cadre plus intime. Pourtant, projeter des maquettes de magazine aux Rencontres d’Arles, lieu saint de la photo, elle l’a fait. « C’était assez mal vu », se souvient-elle. Récidiver avec des photos incrustées dans de grandes boîtes, elle l’assume. Et présenter quinze ans de collaboration photographique avec Sonia Rykiel au sol, elle l’a fait aussi.
En 2011, à la Maison Européenne de la Photographie, le directeur Jean-Luc Monterosso préfère voir collée au mur sa série de photos de Laetitia Casta aux Thermes de Vals (chef-d’œuvre de l’architecte Peter Zumthor). Le sujet Issermann reste donc rebelle au papier envisagé dans un rapport fétichiste. « En fait, j’aime bien m’adapter aux lieux », dit celle qui, à Roissy, a simplement créé un précédent. A commencer par la répétition sur écrans, comme à l’infini, de la photo du comédien Farid Chopel. Sa silhouette à la Buster Keaton sur 470 écrans tient de la performance. Aucune exposition de photo à ce jour n’a multiplié une image de la sorte.
En même temps, elle observe qu’on peut suivre tout cela, assis, devant un seul panneau. Une exposition à deux dimensions, par flashs, sans narration, ni début ni fin. Le passager coupé de ses attaches est interpellé par un univers qui vient à lui par séquences. Cet univers l’invite à ouvrir les yeux sur l’œuvre d’une photographe au service de la beauté. On reconnaît au passage des bobines de stars, d’agréables frimousses qui font comprendre comment ils sont sortis de l’anonymat. Attention, de Bob Dylan à Isabelle Adjani en passant par Leonard Cohen et Catherine Deneuve, rien de lisse dans ces clichés. Mannequins y compris, tout le monde participe d’un état de grâce général. C’est comme si tous participaient au Congrès des belles personnes pour se voir remettre à la fin un certificat d’humanité…
Paris Aéroport a contacté Dominique Issermann dans le cadre de son programme culturel. Cherchant le dispositif idéal, Issermann a demandé : « Pourquoi on irait pas demander à Decaux ?… » et Decaux a accepté ! Les 80 photos choisies ont plu. Néanmoins, cette parenthèse au milieu des affichages publicitaires restera unique. Issermann précise qu’« il n’y a pas de perte de la qualité des images sur les écrans. » On l’entend d’une femme d’expérience qui ne se repose pas dessus non plus.
Expérimenter lui importe toujours. Pour l’album Old ideas de Leonard Cohen (2012), elle a réalisé un très beau film court avec son iPhone. Le barde canadien lui avait suggéré de tourner une minute par chanson. Elle a donc pris le son de toutes les intros et s’est mise à filmer. Au festival A shaded view on fashion organisé par Diane Pernet à la Cinémathèque de Beaubourg, le projectionniste a été scotché par le résultat. « Quand je fais une photo de mode, j’ai toujours une histoire qui me traverse », dit-t-elle.
Qui entend parler de « lumière Issermann » doit savoir que cette technique d’éclairage a été élaborée durant ses longues années en studio. « Je n’ai jamais été assistante ni fait d’école de photo. Quand j’ai commencé à travailler, je suis arrivée brute sur la première prise de vues. Ma lumière était simple mais les photos compliquées à faire. C’était la même lumière qui éclairait la fille, le fond et le décor. Venue d’en haut, elle affleurait sur la peau comme illuminée de l’intérieur. J’ai d’abord photographié sur un fond noir les robes noires de Sonia Rykiel, d’où l’éclairage. C’est comme ça que je suis entrée en mode. J’ai photographié toutes ses collections pendant quinze ans, avec dès le début le mannequin Anne Rohart qui avait ce côté très aérien. » Aujourd’hui la photographe s’est fondue dans le décor d’un aéroport, sans tape à l’œil. Comme pour mieux nous émouvoir…