À sa naissance, Tel-Aviv n’est qu’un désert de dunes blanches au bord de la Méditerranée. Un faubourg de Jaffa, l’un des plus anciens ports du monde. Le premier langage architectural de cette cité sortie du sable mêle indifféremment dômes byzantins, colonnes romaines, arches mauresques et même pagodes chinoises. Afin de maîtriser l’essor fulgurant de sa ville, le premier maire, Meïr Dizengoff, fait appel à l’urbaniste écossais Patrick Geddes, qui dévoile en 1925 un plan inspiré des cités-jardins, très visionnaire par sa capacité d’adaptation aux changements culturels, politiques ou climatiques.
Geddes dessine des artères centrales réservées à la circulation et une suite d’îlots résidentiels organisés comme un kibboutz urbain. Il limite la hauteur des bâtiments à cinq étages, l’occupation des sols par le bâti à 50 % et imagine des terrains alignés selon une cadence régulière, ouverts sur la rue et entourés d’une verdure abondante. « Sa philosophie n’était pas purement esthétique, mais beaucoup plus approfondie, avec la recherche d’une qualité de vie liée à la nature, à la lumière, à l’aération », explique Jeremie Hoffmann, directeur du département de conservation de la municipalité de Tel-Aviv.
En 1929, des dizaines de milliers de Juifs, essentiellement issus de la haute bourgeoisie et des milieux intellectuels, quittent l’Europe et la montée de l’antisémitisme pour s’installer en Terre sainte. « Tel-Aviv signifie “colline du printemps” en hébreu, rappelle Micha Gross, cofondateur et directeur du Bauhaus Center. Cela illustre bien la force spirituelle de la ville, un esprit libre, où il peut toujours se passer quelque chose de nouveau. » Des dizaines de jeunes architectes formés un peu partout en Europe, au Bauhaus ou auprès de Le Corbusier, d’Erich Mendelsohn… reviennent, eux aussi. La demande immobilière est forte, le territoire est presque vierge et les plans sont prêts.
Tel-Aviv se transforme à partir de 1930 en un spectaculaire chantier. Venus d’horizons différents, ces architectes partagent les idéaux sociaux du sionisme et les mêmes priorités architecturales : la simplicité des lignes et la fonctionnalité. Une dizaine se regroupent au sein du très influent Houg (« cercle » en hébreu), parmi lesquels Arieh Sharon, Joseph Neufeld, Carl Rubin, Dov Karmi, Sam Barkaï, Ze’ev Rechter… Collectivement, ils réfléchissent à un ensemble urbain inédit, cohérent, et, au-delà, à un vrai projet de société. « Ils parlaient des idées du modernisme et de son adaptation au contexte local, de la manière dont ils pouvaient créer une langue architecturale », souligne Jeremie Hoffmann.
C’est ainsi qu’est né le style international. Il perdurera jusqu’à la fin des années 40, avant de céder la place au brutalisme et au modernisme de l’après-guerre. Quatre mille bâtiments de ce style ont été recensés à Tel-Aviv. La moitié ont été classés en 2003 sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco et 190 sont considérés comme de véritables chefs-d’oeuvre, sur lesquels aucune modification n’est possible. La grande majorité se concentre dans trois quartiers, Dizengoff, Rothschild et Bialik, qui constituent ce qu’il est coutume d’appeler la « Ville blanche ».