Élevé à Milan, au début du Novecento, dans une famille aristocratique d’ascendance danoise, Guglielmo Ulrich a vécu toute la pesanteur plastique de cet univers, lourd de ses étouffants stores vénitiens en soie froncée. Ce goût de l’ornement, cette suprême horreur du vide, le jeune peintre amateur connaît. Il s’inscrira en architecture, à l’Académie des beaux-arts de Brera, avant de terminer ses études de la discipline au Politecnico de Milan. De l’urbanisation de la ville dans les années 20 aux années de plomb des seventies, Ulrich va mener, même pendant la guerre, une longue suite de chantiers d’architecture d’intérieur. Longtemps, sa clientèle et les hautes sphères, dont il est issu, ne font qu’un. Mais, sans choquer, il aime surprendre.
En 1930, Guglielmo Ulrich a 26 ans. Il fonde son studio, baptisé AR-CA (Arredamenti Casa), avec deux associés. C’est un architecte d’intérieur très en vue et pour de bonnes raisons : AR-CA ne travaille qu’avec la crème des artisans, comme Jannace & Kovacs. Leur luxe ? Aussi bien celui des matières que celui des formes. Certains piètements confinent à l’étrange, entre l’anthropomorphe et l’arachnéen. À la fin des années 30, la vogue passe, Ulrich tend vers plus de simplicité, même s’il abuse toujours du poirier, du cèdre, du zebrano et du palmier, en les mixant. Cela flatte autant le goût des clients que leur image sociale. Il plaît parce qu’il est néoclassique, ce qui ne l’empêche pas d’aimer les matières synthétiques. Il est repéré par la prestigieuse revue Domus sur laquelle règne l’architecte Gio Ponti. En 1937, Ulrich travaillera avec le maître sur un projet d’hôtel donnant sur le Lido de Venise. La même année, son fauteuil en cuir Willy apparaît. Là encore, il innove sans décoiffer. Malgré les bombardements des Alliés sur Milan qui détruisent son studio, Ulrich poursuit son activité. C’est lui, le Milanais, qui dès 1938, en prévision de l’Exposition universelle de 1942, est chargé d’aménager le Palazzo della Civiltà Italiana, l’un des bâtiments emblématiques du nouveau quartier romain de l’EUR. Ce joyau architectural est aujourd’hui le siège de Fendi. Après guerre, Ulrich dessine des boutiques chic avant d’aménager les grands paquebots italiens. La bourgeoisie industrielle milanaise lui est fidèle. En 1961, l’une de ses chaises remporte le premier prix de la Foire internationale de Trieste. Sa légèreté et certains détails de construction ont fait mouche. À la fin de sa carrière, Guglielmo Ulrich se consacrera davantage à l’architecture qu’au design. Beaucoup de ses créations n’ont été produites qu’à quelques exemplaires, voire en pièce unique pour des chantiers précis.
Fendi a réalisé, pour son QG, cinq modèles conçus par le designer : deux fauteuils en cuir, un troisième en noyer, un divan et une table. Si cette luxueuse collection meublera le bâtiment, seule une partie sera commercialisée. En dehors de Fendi Casa, l’éditeur haut de gamme Poltrona Frau avait déjà intégré dans son catalogue un banc en cuir tressé et le fauteuil Willy. En 2016, Guglielmo Ulrich, en parfait accord avec l’époque – « Pour être beau, le mobilier doit seulement être composé de meubles utiles, pratiques, voire indispensables » –, est remis en lumière grâce au nouveau regard porté sur l’architecture du quartier de l’EUR. Par son côté atypique, Ulrich a rappelé au design italien l’intérêt de s’affranchir du diktat des influences, rationalistes ou scandinaves. C’est ainsi qu’il est resté pertinent et impertinent.