Canapés en velours jaune d’or et bleu foncé, fauteuils en soie imprimée de motifs baroques, exposés devant des tentures dans de petites scènes dignes des riches heures du classicisme… Difficile d’imaginer un univers plus à l’opposé de celui du pétillant éditeur Moroso. Depuis ses origines, l’éditeur italien s’applique plutôt à livrer des collections aux couleurs tonitruantes, dans des scénographies contemporaines. Et, pourtant, cette année, durant le Salon du meuble de Milan, Moroso a présenté dans son showroom milanais, « Setting the Elegance », un grand écart esthétique très sophistiqué où des tissus classiques viennent habiller les formes signées des plus grands designers ayant collaboré avec l’éditeur, avec effectivement beaucoup d’élégance.
Un carambolage d’époques osé, opéré par Patrizia Moroso et Giulio Ridolfo, le responsable textiles et couleurs. « L’histoire remonte à 2013, lorsque nous avons été contactés par Maximilien Durand, directeur du musée des Tissus de Lyon, qui voulait organiser une exposition avec nos collections. À l’époque, nous ignorions tout de ce lieu, mais nous avons immédiatement été séduits par les archives. En effet, Lyon est la ville de Joseph-Marie Jacquard, qui a changé pour toujours le travail du tissu », se réjouit Patrizia Moroso qui a lancé, à la même époque, l’exposition « Lo Sguardo Laterale : Moroso, une recherche entre arts décoratifs et design ».
Patrizia contacte alors Rubelli, son fournisseur historique de tissus, et lui propose d’éditer l’un des tissus conservés dans les archives du musée, dont elle va ensuite couvrir plusieurs des modèles exposés à Lyon. Il s’agit d’un brocart reproduisant une mise en carte du XVIIe siècle qui présente un élégant motif décoratif, avec épis, couple de colombes, chapeau de paille, le tout rehaussé de gracieux rubans et rameaux fleuris. La touche Moroso consistant à reproduire aussi le quadrillage de la trame.
L’enveloppe et la forme
« Nous nous sommes dit que cette expérience pouvait être le point de départ d’une autre façon de montrer Moroso », explique Patrizia qui pioche dès lors, avec Giulio Ridolfo, des brocards, jacquards et velours chatoyants, baroques et classiques pour créer « Setting the Elegance ». « Nous avons ainsi choisi des pièces en velours et en laine de chez Kvadrat – notamment la collection de Raf Simons – et de la soie de chez Rubelli qui se marient merveilleusement bien. » Un travail qui a du sens quand on le resitue dans la volonté de Moroso de repousser les frontières des standards. Giulio Ridolfo a choisi du jacquard pour les petites pièces et du velours pour les plus imposantes, comme le canapé M.a.s.s.a.s., de Patricia Urquiola, des options réfléchies avec les designers qui sont aussi intervenus sur les finitions de chaque modèle, « connectant chaque forme à un tissu, précise Giulio. C’est le cas de My Beautiful Backside, de Doshi + Levien, drapé d’un jacquard de maharadja et typique de cette collection d’objets qui ont de la personnalité. »
Et Patrizia de renchérir : « Je passe beaucoup de temps avec Giulio à sélectionner des tissus. Ceux-ci contribuent à donner du sens à ce qui se trouve au-dessous de l’enveloppe qu’ils constituent ; ils apportent de la personnalité à une pièce, même quelconque, l’idéal étant de créer le mariage parfait entre forme et tissu. Hélas, peu de designers accordent autant d’importance à l’enveloppe qu’à la forme ! Seuls des gens comme Nipa Doshi et Jonathan Levien ont intégré ces deux paramètres dès la conception de leurs créations. C’est pourquoi Giulio et moi avons systématiquement associé, pour “Setting the Elegance”, les designers aux choix des étoffes. » À l’heure où le marché s’internationalise, le sens du luxe n’est pas le même à Shanghai, aux États-Unis ou au Moyen-Orient, des régions sensibles à cette élégance, qui replace Moroso dans l’histoire des arts décoratifs européens.